Soigneur dans la ménagerie d’un jardin animalier, Odradek est ressorti du coma après une expérience de mort imminente, amnésique et en pleine confusion sur son identité.


Coupé de son passé par une mémoire blanche, il ne reconnaît rien de sa vie antérieure, ni les gestes d’affection de sa voisine qui le terrorisent, ni les anecdotes des autres gardiens de la ménagerie. Il veut se défaire de cette humanité qui lui semble étrangère et dériver vers l’animal. La cage des renards de la ménagerie lui apparaît comme sa véritable maison, et paradoxalement comme un espace de liberté dans un monde trop hostile.


«Un matin, je suis sorti de l'hôpital. On m'a reconduit chez moi. Je n'ai rien reconnu. C'était un sentiment d'une douce étrangeté. On m'a reconduit chez moi. Je n'ai pas aimé le mobilier. Je me suis regardé dans le miroir. L'infirmière m'avait rasé la veille. Deux coupures au menton. Je me reconnais. Je trouve que ce corps et ce visage ne me vont pas. Je me découvre humain. Tout est là, tout fonctionne, rien n'est paralysé, rien sauf. Sauf votre mémoire, a affirmé le docteur Le Fol.»


À la voix d’Odradek répond celle de Suzanne, qui travaille comme bibliothécaire à proximité de la ménagerie. Obsédée par les disparus dans sa famille, dont elle croit entendre les échos dans la maison familiale, elle semble réfugiée dans un repli du monde depuis la disparition inattendue de son mari Léonard, se protégeant des agressions extérieures par une obsession hygiéniste.


Odradek et Suzanne se croisent dans la bibliothèque, où celui-ci, de plus en plus sale et hirsute, vient faire des recherches sur ce qu’il considère comme ses origines et son espèce, les renards corsac.


«Je ne me rase plus, docteur. Je ne me raserai plus jamais. Les lois de la nature doivent s’imposer. Sélection naturelle en milieu hostile. Il faut les laisser triompher, régner sur notre monde animal.»


A la dérive parmi des humains qu’ils perçoivent comme hostiles, fantomatiques, ou incompréhensibles, Odradek et Suzanne voudraient changer de forme, et rêvent de devenir autres dans un oubli partiel pour fuir leurs traumatismes et l'aliénation du travail et de la famille.


Inventé par Franz Kafka dans sa nouvelle inachevée Le souci du père de famille, Odradek fascine. «Odradek est la forme que prennent les choses tombées dans l’oubli» a dit Walter Benjamin, cité en exergue à ce roman paru en janvier 2015 aux éditions Verticales qui fascine également, avec ses deux voix alternées, créant une sensation d’égarement qui s'approche de l’hypnose.


Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/04/10/note-de-lecture-histoires-naturelles-de-loubli-claire-fercak/

MarianneL
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le 11 avr. 2015

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