"ça se pourrait bien que je rêve enfin"

Une rêverie biologique et géographique autour d’un territoire transitoire. La Béringie est un espace aux carrefours de la terre et de l’eau, lieu de rencontre et d’affrontement, de réunion et de séparation, à la fois pont et frontière, à la croisée des continents et des époques. C’est un monde et un passage vers un autre monde.


Dans le roman, la notion d’écologie semble prendre tout son sens : il s’agit bien d’une maison commune, où tout est lié, la dimension environnementale mais aussi les dimensions humaine, sociale, voire créatrice. En effet, ce ne sont pas seulement la nature et les communautés qui sont menacées, c’est aussi la capacité de créer, d’imaginer, de rêver, de raconter des histoires.


C’est ce qu’apprend le personnage de Jeanne, dont le rapport au monde change peu à peu quand elle découvre une mystérieuse arche, structure préhistorique faite d’ossements. De quoi cette arche est-elle la trace, le signe ? Les scientifiques comme Jeanne sont-ils encore capables de voir au-delà du visible, de devenirs chamans ?


Le roman est ainsi fait de strates géologiques et temporelles, textuelles et mythologiques aussi. Il y a les histoires de Sélhézé, les carnets de Hushkins. On sent qu’il faut creuser profond, chercher quelque chose mais l’objet même de la quête de tous ces personnages ne se révèle que progressivement, y compris à eux-mêmes.


C’est aussi notre propre rapport au vivant qui est interrogé : comprendre, connaître, classer, conserver, préserver, cartographier, exploiter, dialoguer, raconter, habiter, accueillir… Face aux destructions, l’auteur fait espérer en un monde de circulation, d’interaction, de communication, de relation entre les espèces, les époques, le visible et l’invisible.


La lecture de ce texte est exigeante, un peu difficile, à l’image du monde complexe qui est présenté. L’auteur oscille entre un vocabulaire scientifique pointu et des images poétiques (la langue de Sélhézé est particulièrement sublime, en même temps que déroutante), nous plongeant alors dans une atmosphère paradoxalement réaliste et onirique à la fois, véritable invitation à un émerveillement devant les mystères du monde qui nous échappent.

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le 18 oct. 2021

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