Les éditions de l’orge nous offre régulièrement des textes singuliers, des histoires qu’on ne lit nul part ailleurs. Avec ce nouveau roman, Ici la Bééringie je n’ai pas été déçue. A l’aide d’une plume éblouissente, de Jérémie Brugidou nous fait voyager à travers les époques et sur une contrée reculée, la Beringie.
Trois personnages, trois époques et un même lieu. La Béringie c’est un bout de terre immergée entre l’Alaska et la Sibérie. Probable passage des premiers habitants américains, lieu de tension lors de la guerre froide, c’est un secteur du globe traversé par le ligne de changement de date et qui contient ses mystères et ses histoires. Sélhézé, il y a quelques millions d’années, voit sa terre se faire progressivement engloutir. Alors que se dessine la guerre froide, Hushkins traquent les traces de la Beringie. Jeanne, une archéologue du futur, dirige une chantier de fouille du permafrost au sein du Beringia Park, un parc naturel consacré à la faune du Pléistocène. Tous trois, arpentent à trois époque différentes, un territoire qui conserve jalousement ses secrets.
Les recherches scientifiques de Jeanne et de Hushkins sont décrites de manière poétique. L’auteur mêle les mots savants à une écriture pleine d’images. Les imaginaires et les théories scientifiques s’entrelacent. L’observation des pollens ouvrent des possibles et poussent à la réflexion. J’ai trouvé cette manière d’écrire extrêmement belle. Le texte est exigeant mais recèle d’images sublimes. C’est un voyage inédit dans le temps et dans l’espace qui nous est proposé.
Enfoncer les doigts dans le sable. Humer les tiges de jonc humides. Réveiller les paumes au lichen. Relier les deux monde. Au pied des volcans, les plages pareilles aux jours se chevauchent et dessinent une carte du temps. Un battement par siècle.
Les trois histoires, à la manière des strates archéologique nous racontent une territoire de manière exhaustive. Les intrigues se répondent et dressent le portrait d’une terre en proie aux climats et aux hommes. Les champignons et les pollens sont la mémoire des époques révolues. Si l’histoire de Jeanne est plus développée, les trois m’ont autant touchée.
Cette terre évoluant aux grès des eaux est le symbole de ce qui se joue avec les changements climatiques. Elle illustre les grands chamboulements, les pertes mais aussi les renouveaux qu’offrent les implacables périodes de changement climatique. Le monde de Jeanne, situé dans un futur proche, nous invite à reflechir l’écologie à la lumière des territoires perdus. C’est aussi un cris en faveur des peuples autochtones, ceux qui fur chassé à la fois pas l’URSS et les États-Unis. L’individualisme des grosses nations tente de broyer le sens du collectif des Tchoukthes. Jeanne comme Hushkins cherchent autant des réponses scientifiques que des réponses à leur propre existence. Les pollens, les champignons et les vestiges du passé tracent pour eux un chemin porteur de sens.
Ce sol, cette Beringie, je le vois veinée de forces vives et brutes qui font trembler la terre et hurler la foret, je vois des âmes gigantesques au pas délicat et dont l’écho nous parviens avec un temps de latence. Et je sens que c’est dans cette latence que je plonge. La latence provoquée par ma propre presence ici. Au fond de cette fosse, au fondu canyon de la Jeanne de nui, se niche peut-etre la solution à mon énigme.
Sélhèzé voit le désastre avant les autres. Sa terre se gorge d’eau, de grands chamboulements approchent pour les siens. J’y ai trouvé les accents animales et minérales du roman de Bérengère Cornut, De pierre et d’os. L’écriture se fait plus onirique, la magie et les croyances guident le groupe. Ce qui m’a la plus touché c’est cette place essentielle accordée au collectif. L’imaginaire de l’auteur se déploie ici avec encore plus de force et de beauté que dans les autres parties.
Ce livre m’a envoûté par son écriture mais aussi par les sujets qu’il aborde. Un roman qui agrandi nos imaginaires.
Merci aux éditions de l’Ogre pour leur confiance.