L'histoire nous est racontée par Nathan Zuckerman. Il s'agit d'un narrateur récurrent des romans de Philip Roth, un écrivain solitaire et observateur de ses condisciples. Celui-ci retrouve Seymour Levov, surnommé "le suédois", un élève vedette du lycée où ils ont tous les deux étudié. C'est un homme à la réussite éclatante, une incarnation du rêve américain. Il épouse Miss New Jersey et forme avec elle un couple idéal. Derrière l'image si lisse et si belle, Nathan découvre qu'il y a un secret. Merry, sa fille rebelle qui représente une toute autre Amérique, celle des années soixante où la guerre du Vietnam fait rage, a commis un acte monstrueux. Les contestations face à ce carnage se multiplient et Angela Davis devient une figure emblématique. Seymour est alors confronté à une réalité qu'il refuse de voir.
Je préfère vous prévenir, la manière dont Philip Roth construit son roman est assez déroutante et peut sans doute perdre son lecteur. Il fait d'énormes digressions et prend le temps d'analyser ses personnages. Si on accepte de se laisser porter on plonge dans une analyse minutieuse d'une famille américaine modèle (ou presque) et on s’aperçoit que les digressions n'en sont finalement pas. Il faut aimer prendre son temps avec Philip Roth. Dans ce roman il met en opposition deux Amérique et s'applique à faire resurgir les contradictions de son pays. Il questionne aussi sur les choix de vie et les combats de chacun. Les personnages sont déchirés entre la construction d'un foyer et la résistance aux injustices du monde. Le désir de se construire une situation, une réputation vient en opposition à celui de lutter pour les libertés. Il apparaît que l'ont se met soit même des œillères face aux horreurs du monde pour servir un idéal inatteignable ou une vision préconçue de la réussite. Seymour est incapable de penser autrement qu'il l'a toujours fait car il s'est construit sur cet idéal. Il est envié et admiré, il ne peut renoncer à ce statut. Son frère et sa propre fille tentent de le faire évoluer avec difficulté. La représentation qu'il a de lui-même et du monde est trop ancrée. Seymour nous renvoie à nos propres certitudes dont on a temps de mal à se défaire. Il est parfois complexe de changer et moins par lâcheté que par habitude.
Philip Roth s'attaque dans chacun de ses livres aux failles de l'Amérique et à ses divisions. A travers ses histoires, il met en lumière les conflits qui traversent son pays. L'intrigue de Pastorale Américaine est ancrée dans un temps historique, celui de la lutte contre la guerre du Vietnam et des prises de position d'Angela Davis. A travers une famille on découvre l'impact des luttes pour l'égalité et la fin de la guerre sur ces années là. On retrouve aussi la question de la judaïté, qui est centrale dans son œuvre.
La force de Philip Roth est la construction de ses personnages. Il livre une analyse pointue de chacun d'entre eux et les sonde avec précision. Il prend du temps et ralenti l'intrigue pour cela. Le récit en est encore plus crédible et passionnant. On connaît intimement les personnages et on comprend leurs agissements même quand ceux-ci pourraient paraître contradictoires. Je suis fascinée par cette capacité à explorer l’âme humaine, à en analyser et à en décrire toutes les subtilités. Je ne connais pas d'autre auteur capable d'aller aussi loin en ne négligeant aucun de ses personnages.
Une chose est sûre, je continuerai à explorer l’œuvre de Philip Roth et avec elle les conflits qui gangrènent l'Amérique.