Ida, vieille servante discrète, est morte, percutée par une voiture. Alors il ne reste que les mots de ses employeurs, les Besson, pour savoir qui elle était.
Même devenue cadavre, elle est l’objet de leur dévalorisation incessante, de leur mesquinerie, et de leurs reproches inépuisables, sous couvert de fausse bienveillance et de soi-disant tact, coupable inexpiable de sa pauvreté. Ils disent, ils se souviennent, de cette bonne ingrate, disparue sans prévenir, dans un récit de forme très particulière, succession de monologues et d’énoncés réjouissants et cruels.
Mais surtout ils questionnent, car l’objet de leur rancœur, et de leur jalousie, est la force qu’Ida enfin gagne, en disparaissant : elle reste ce qu’elle était au moment de l’impact de l’accident, une forme non identifiable, une femme inconnue.
Et ainsi par les mots de ses employeurs, Hélène Bessette la transforme en kaléidoscope de leurs préjugés et de leurs mépris : Ida automate, poupée mécanique exécutant les ordres, bras ballants visage blanc, Ida-oiseau de nuit arrosant les fleurs et sirotant un petit verre de cognac en pleine nuit, enfant-Ida servante infantilisée par ses employeurs, Ida-objet appartenant à ses propriétaires, Ida-femme aimant les chaussures et la lingerie, Ida-suicidée car elle avait compris qu’elle ne sortirait jamais de sa condition, le cadavre-Ida qui enfin devient forte car elle conserve son mystère en disparaissant.
Méconnue de son vivant, Hélène Bessette pensait qu’elle deviendrait célèbre longtemps après sa mort. Elle est morte en 2000. C’est le moment de la lire.
«Ida lucide
sait ce qu’elle fait lorsqu’elle entre chez les Besson.
Non par le mariage mais par la domesticité
Par l’appartenance.
Si l’on prend soin d’elle, au moins en paroles, c’est en tant que propriété. Ce qui d’ailleurs est énorme et représente un bon vouloir sincère.
Ida n’ignore pas sa haute position très objective.
L’objet-Ida.
Ida n’ignore pas les Besson. Que personne n’ignore au demeurant. Tout le monde sait tout, des Besson. Aussi ce petit livre ne sera pas consacré aux Besson dont on sait tout (toutes choses flatteuses cela va sans dire). Mais ce petit livre sera consacré à la pauvre Ida. À ses pieds notamment.
Car il est beaucoup plus intéressant de parler de ce qu’on ne sait pas que de parler de ce qu’on sait.
L’ignorance lève mille rêves mille brumes éthérées mille brouillards opaques. Où tremblent des lueurs. L’ignorance lourde de vertus inconnues, méconnues. Un monde de richesses en fusion.
D’où s’évadent mille images fantomatiques. Et peut-être les seules vraies.»