Un enfant fuit son village et la violence qu’exercent sur lui, en particulier, un père aussi sec que le climat et un alguazil sinistre. Sa quête le liera à un vieux chevrier qui lui transmettra ce qu’il pourra.
Dans la postface de la bande dessinée que Javi Rey a tirée de son récit, Jesús Carrasco dit s’inspirer de Raymond Carver. Ça ne se voit qu’à moitié quand on lit le texte. Dire qu’Intempérie est minimaliste serait faux ; l’auteur est par exemple capable de consacrer dix-huit lignes à la fraction de seconde qui sépare un coup de feu de la chute d’un cadavre, ce qu’on ne trouverait jamais chez Carver. Pas plus qu’on ne pourrait y lire « Il passa la tête dans la pièce noire et, sans rien distinguer, il sentit le poids de ce qui s’était déroulé dans ces lieux. Une densité de vieille sacristie renfermant des vêtements de cérémonie filés au commencement des temps, où les murs avaient absorbé, durant des siècles, les cris des enfants de chœur, des orphelins et des enfants trouvés. Le mal, la souffrance et la charité. La mort jetée là, cadavres entassés. La pourriture se frayant un chemin parmi les péchés inénarrables » (p. 187-188 de l’édition « 10-18 »).
Ce qui est indéniable, en revanche, c’est que parallèlement à ces passages qui semblent se déplier avec une lenteur constante, le récit de Carrasco joue énormément sur la suggestion et le non-dit, comme ceux de Carver. C’est petit à petit, par des sous-entendus qui ne laissent la place à aucune ambiguïté, qu’on devinera la raison précise pour laquelle l’enfant hait l’alguazil. De la même façon, l’aridité du paysage est très probablement à mettre sur le compte d’un dérèglement quasi général du climat, mais sans que le récit ne tourne au plaidoyer écologique – la sécheresse ici est réaliste et symbolique, reflet naturel (c’est-à-dire innocent) « du monde des adultes. Ce monde où la brutalité est employée sans autre raison que la cupidité et la luxure » (chap. 9, p. 151 en « 10-18 »).
Un garçon, un père, un chevrier, un alguazil, un cul-de-jatte (c’est-à-dire pas de femme) ; un désert écrasé de soleil et le Nord verdoyant qui fait rêver ; une errance au jour le jour. Avec ses personnages réduits à des fonctions, ses lieux réduits à des décors et son cadre temporel indéterminé, Intempérie a quelque chose d’un conte. Mais d’un conte dégradé : par une inversion des valeurs et des rôles, le nomadisme y apporte la sécurité, et les figures du père et de l’alguazil, qui devraient incarner un ordre admirable et rassurant, sont le cœur du danger. En tout cas éminemment initiatique – le côté transmission des valeurs n’est d’ailleurs pas ce qu’on y trouve de plus passionnant –, le récit lorgne aussi vers le post-apocalyptique. On pense parfois à la Route.