Près de sept siècles de littérature en quelque cent cinquante pages : plutôt qu’à une somme véritable, cette Introduction à la littérature française du Moyen Âge s’apparente à une magistrale synthèse extrêmement documentée.
Pour le contenu lui-même, je suis bien incapable de discuter quoi que ce soit : autant la littérature médiévale ne me rebute pas, autant je n’en suis pas passionné au point de pouvoir rivaliser avec les spécialistes – dont Michel Zink. À la rigueur, je regrette juste que le caractère pictural des manuscrits ne soit jamais évoqué – pas même en passant, pour dire que les enluminures existent. Au moins, de ce point de vue, l’ouvrage va-t-il droit à l’essentiel, alternant à bon escient considérations générales et analyses d’œuvres particulières.
On apprend ainsi à placer quelques dates : c’est dans la seconde moitié du VIIIe siècle qu’« il n’y a plus désormais un latin “littéraire” et un latin parlé, mais deux langues différentes » (p. 12). À ce propos, le malentendu selon lequel l’époque médiévale est constituée de mille ans de stagnation se trouve salutairement dissipé – par exemple quand on lit qu’à la fin du Moyen Âge « pour la première fois, la littérature française joue des perspectives ouvertes par celle de son propre passé. Elle éprouve le vieillissement des modes et celui de la langue » (p. 149).
Le propos y est régulièrement élargi, ce qui plaira au lecteur en qui sommeille un historien de la littérature : ainsi dans la mention d’une « situation [qui] caractérise toutes les jeunes littératures : partout le vers apparaît avant la prose. Le seul point surprenant est qu’elle se reproduit même dans les cas où l’on connaît et où l’on pratique la prose dans une autre langue » (p. 83). Mais ces élargissements ne se font pas sans nuances : « les chansons de geste sont des poèmes épiques. Elles confirmeraient donc la loi qui veut que l’épopée soit partout une manifestation archaïque de la littérature si la dialectique de l’innovation et de la continuité propre au Moyen Âge ne venait une fois de plus brouiller le jeu » (p. 29).
On y trouve ce qu’ailleurs on appellerait des clés de lecture : « La chanson de geste fait ainsi appel à ce qu’on pourrait appeler les effets physiques du langage : la fascination et presque l’hypnose de la répétition ; le vertige de la même assonance résonnant vers après vers tout au long de la laisse et celui née d’une mélodie très simple, d’une mélopée répétée, toujours identique, vers après vers » (p. 31) – ce passage me donnerait presque envie de me plonger dans les chansons de geste… De telles remarques n’excluent pas la drôlerie, ou tout au moins le sourire, comme lorsque M. Zink, à propos des troubadours, note qu’« il y a chez eux un mélange d’effroi respectueux et de sensualité audacieuse devant la femme aimée, qui donne à leur amour les traits d’un amour adolescent » (p. 48).
Des passages instructifs comme ceux-là – et qui, dans un sens, font obstacle à une critique non érudite –, il y en a des dizaines dans l’Introduction de Michel Zink. Elle est bien faite ; est-elle passionnante ? Il s’agit au moins autant d’un livre à consulter que d’un livre à lire.

Alcofribas
6
Écrit par

Créée

le 16 déc. 2018

Critique lue 72 fois

1 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 72 fois

1

D'autres avis sur Introduction à la littérature française du Moyen Age

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 11 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

20 j'aime