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Comme pour le premier, le titre du deuxième volume publié par Villiers de l’Isle-Adam impliquait une suite qui n’a jamais vu le jour. L’inachèvement du cycle auquel Isis devait se rattacher – plus...
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le 8 juil. 2018
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Comme pour le premier, le titre du deuxième volume publié par Villiers de l’Isle-Adam impliquait une suite qui n’a jamais vu le jour. L’inachèvement du cycle auquel Isis devait se rattacher – plus exactement, du cycle intitulé Isis dont ce récit, Tullia Fabriana, constitue les « Prolégomènes » – produit parfois l’impression d’une machine qui tourne à vide, en particulier dans certains passages, qui sont manifestement là pour poser les jalons d’une intrigue à venir.
Le roman commence à la façon d’une multitude de romans historiques du XIXe : une Italie en proie aux dissensions d’une crise politique chronique (pléonasmes ?), un beau jeune homme bien né plongé dans un monde de palais qui le dépasse, un rendez-vous nocturne, un vieil ambassadeur qui lui prodigue une bonne dizaine de pages de conseils en courtisanerie, une figure féminine que le lecteur finit par s’impatienter de voir apparaître – presque autant que les données de départ du complot attendu…
Cette Tullia Fabriana, « belle vierge prométhéenne » (p. 149), manifeste des ambitions tout aussi bien faustiennes (mais Faust et Prométhée ne sont peut-être qu’un seul mythe, auquel il faudrait joindre Frankenstein). Son projet semble tout simple : contrôler le monde. Mais tandis qu’on pourrait s’attendre à une variation sur le thème de la femme fatale, on a plutôt, ici, un genre de sur-femme universelle, de mage ascétique – le personnage y gagne en richesse, et le roman aussi.
D’une beauté redoutable certes, et d’un machiavélisme indéniable (« en politique, bien des choses sont permises, excepté de ne pas réussir », déclare-t-elle page 162), elle paraît d’autant mieux caparaçonnée pour les guerres de pouvoir que « dans un entretien, c’était une nature pneumatique par laquelle l’esprit des autres personnes était rapidement retourné, compris et évalué à leur insu, en vertu d’un presque infaillible calcul de riens systématisés. Comme elle savait tout dire, elle savait gêner lorsqu’on essayait de s’aventurer un peu dans sa conscience. » (p. 123). Surtout – et c’est ce qui la rend proprement faustienne –, son goût précoce pour le savoir est sans limites. Ou plutôt, les limites de ce goût sont celles de sa bibliothèque : son palais aux allures de bunker gothique renferme quinze ou vingt mille volumes, tous plus rares les uns que les autres.
Cet appétit, qui n’est pas que livresque dans la mesure où « d’un mot dévoyé de son acception réelle peur partir une irradiation indéfinie de sottises » (p. 144), fournit naturellement à Villiers l’occasion de longues considérations, sur l’« anatomie de l’histoire » (p. 132) par exemple. Sur le principe, les passages qui transforment Isis en une espèce de récit à thèse ne sont pas ce qu’on y trouve de plus léger : des personnages secondaires semblent avant tout des porte-paroles de l’auteur, ce qui est rarement agréable à lire, et le texte d’une des notes de bas de page de l’auteur (!) dépasse en volume celui du chapitre où elle se trouve : on n’écrit plus de romans philosophiques comme ça, ce qui n’est sans doute pas plus mal…
Dans leur contenu, en revanche, certaines remarques sont étonnantes d’actualité, qu’il s’agisse de critique sociale ou de psychologie : « un régime sobre et réglé, des aliments sains, de l’exercice, un air pur, le calme des mœurs et un bon tempérament peuvent conduire à la centaine. Malheureusement cette excellente maxime […] est devenue très difficile à mettre en pratique pour les cinq sixièmes des individus » (p. 144) pourrait se lire dans un texte de l’Encyclopédie des Nuisances, et ces « hommes qui s’estiment presque tous capables de changer la face du monde et dont chacun se pense plus que le voisin, ce qui, vu de près, constitue le plus clair de l’apparente égalité universelle » (p. 112) sont sans doute de toutes les époques. Ce n’est pas le visage le plus connu de Villiers qui apparaît ici.
Isis n’est certainement et définitivement pas un chef-d’œuvre. Mais c’est un roman suffisamment ambigu pour éviter tout figement, et suffisamment riche pour sortir de la catégorie des curiosités auxquelles il faut parfois réduire les textes de jeunesse des grands écrivains.
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le 8 juil. 2018
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