Jar Jar Abrams ou l'éternelle resucée de ses films de chevet.

Mouais… bof. J’aime pas Abrams et c’est clairement pas ce bouquin qui va me faire changer d’avis.


J’étais curieux de voir à quoi pouvait bien ressembler un essai sur ce réal et quelle pouvait bien être la teneur des arguments avancés dedans mais, franchement, c’est très faible.


Alors ça ne fait en fait qu’une petite centaine de pages – toutes petites qui plus est – donc, bon point : ça se lit très rapidement (bouclé en une heure et demie pour ma part). Le problème étant du coup que ça ne raconte finalement pas grand-chose.


Ça commence par se branler généreusement sur ledit réal avec dix pages d’introduction enchaînant les éloges – tutoyant parfois le ridicule : alors OK, Abrams travaille beaucoup, je veux bien le croire, mais de là à nous vanter un famoso « stakhanovisme généreux »… heu, doucement, quand même. Et vas-y qu’Abrams est qualifié de « nouvel homme d’orchestre d’Hollywood », « marchant dans les pas de Spielberg et de Lucas » (là-dessus je suis d’accord, il marche dans leurs pas – mais ne leur arrive pas à la cheville), lui qui a gravi les échelons un à un (soit), qui serait un « perfectionniste » (allez), un « narrateur ambitieux » (!), un « grand metteur en scène » (!!) qui, ça y est, aurait « rejoint la cour des grands » (!!!) : sérieusement ? L’auteur ira même jusqu’à comparer Abrams aux explorateurs de la Renaissance, pour les nouveaux horizons qu’il a su ouvrir. Bref, du grand n’importe quoi.


Alors on nous y explique que le bonhomme aurait exporté le concept de « films du milieu » dans la sphère hollywoodienne, en faisant évoluer au passage sa définition – désormais la suivante : « celui qui croit à l’équilibre entre l’émotion sincère venant de soi (la part de l’auteur) et le divertissement conçu à l’intention du public (la part du producteur) ; aucun des deux ne devant étouffer l’autre, y compris face à de fortes attentes financières ». Ainsi, le cinéma d’Abrams serait « le point d’équilibre entre l’entertainment et la réflexion ». De tous les réals officiant aujourd’hui à Hollywood, ce serait lui, Abrams, qui aurait accompli cet exploit. Pourquoi lui et pas Sam Raimi, Peter Jackson, Bryan Singer, Guillermo Del Toro, Gore Verbinski, Sam Mendes, Michael Mann – j’en passe et des meilleurs ? On ne saura pas. Il n’empêche que tout ça n’est pas très clair.


L’auteur nous égrène ensuite ce qu’il considère comme les différents motifs abramsiens – à savoir l’arbitrage libre-arbitre/destin de ses personnages, la quête de sens qui les anime, la fragilité des apparences, la seule responsabilité des hommes (par le biais notamment de la science) dans le déroulement des évènements (là où l’on pense d’abord que puissent être impliqués les dieux), les héros imparfaits (mais toujours vertueux in fine) et leurs dilemmes moraux, la disparition du père et ses conséquences désastreuses pour le fils parricide, l’innocence de l’enfance, la nostalgie, l’optimisme… chacun de ces motifs étant illustré par deux ou trois exemples tirés de sa filmographie (la plus grosse part de ces exemples provenant en fait de Lost, série que je n’ai pas regardée, pas de chance pour moi). Alors bon OK… si ce n’est qu’avec un peu de bonne volonté, les trois quarts de ces motifs peuvent en fait être décelés dans bon nombre d’autres filmographies de réals bien plus talentueux. Bref, l’essai tourne assez rapidement au commentaire de filmo/analyse de séquence assez scolaire et, surtout, pas bien inspiré (ça convoque Deleuze et Platon, bah putain). Qui enfile finalement plus les tartes à la crème qu’autre chose.


Une section – qui s’annonçait pourtant intéressante – s’attarde elle sur les faux-raccords, qui seraient selon l’auteur volontairement employés par Abrams dans son œuvre. Pourquoi pas. Seulement, j’avoue ne pas comprendre les quelques exemples cités, qui ne me semblent pas relever du faux-raccord tel que je le conçois (et tel qu’il est défini au début de la section) mais bien d’autres « figures de style » (si j’ose dire). Pour n’en citer qu’un seul exemple, celui tiré d’Alias : l’auteur présente comme un faux-raccord le fait que le tournage de la série se soit toujours opéré dans les environs de Los Angeles, alors que dans ladite série, Sydney et ses copains voyagent à travers le monde entier (mais en fait les acteurs ne quittent pas LA). Ce qui me semble relever de la pure logistique de production est ici présenté comme un faux-raccord volontaire – parce que « manipulant notre perception en tant que spectateur ». Sans plus de précision… Bref, tout ça n’est pas très clair.


Là où le bouquin saute pour le coup à pieds joints dans le foutage de gueule intégral, c’est lorsqu’il déplore la vague de reboots et de remakes qui envahissent les écrans depuis le début des années 2000, en leur reprochant – à juste titre – d’être le plus « souvent stériles et vides de sens » et de privilégier une « logique comptable »… pour nous expliquer ensuite qu’Abrams y fait lui exception, lui qui aurait trouvé une « manière personnelle et stimulante de pratiquer le méta-cinéma et l’art du reboot » ! Alors que la majorité des autres revivals de franchises cultes seraient nuls (je plussoie), ceux d’Abrams seraient eux particulièrement pertinents et réussis parce que « raisonnant avec l’histoire du cinéma et des séries » : ainsi, Cloverfield, parce que croisement entre Godzilla et les attentats du 11 septembre, ou ses Star Trek (Into Darkness comme relecture de la traque du 11 septembre lui aussi) et Star Wars, parce que brouillant la frontière entre reboot d’épisodes précédents et continuations de leurs récits, seraient eux malins et dignes d’intérêts. Ben non… alors, déjà, l’allégorie du 11 septembre resservie à toutes les sauces, il faut bien comprendre qu’elle est dans une chiée de blockbusters hollywoodiens et que ce n’est pas Abrams qui l’a le premier illustrée. Pour n’en citer qu’un seul exemple : La Guerre des mondes. Un exemple que je n’ai évidemment pas choisi par hasard, pour deux raisons :



  • La première, c’est qu’il est sorti en juin 2005 (juillet en France). Or ce n’est que le 12 juillet qu’a commencé le tournage de Mission Impossible 3, aka… le premier film d’Abrams. Autrement dit, Abrams n’avait même pas commencé à réaliser son premier film que sortait déjà en salles un blockbuster hollywoodien traitant en filigrane du 11 septembre et des craintes d’une Amérique ayant perdu ses repères. Cette vague a commencé avant les films d’Abrams (le sujet est frontalement abordé par des films comme 9/11 et Farenheit 9/11 mais aussi plus subtilement évoqué dans des films tels que les deux premiers Jason Bourne, Le Village ou encore Batman Begins – tout ça, c’est avant MI3) et a continué durant toute la décennie (en vrac : Mensonges d'état, Démineurs, Green Zone – varions les réals) : bref, elle est loin de n’être l’apanage que d’Abrams (et il en va en fait de même pour tous ses motifs cités plus haut…).


  • La deuxième raison étant évidemment que la Guerre des mondes est un film réalisé par nul autre que… Steven Spielberg, alias le père spirituel d’Abrams. Tiens donc, le monde est petit. A voir maintenant si l’on préfère interpréter ce constat comme un amusant fruit du hasard ou plutôt comme un énième indice qu’Abrams n’a décidément aucune idée et n’est qu’un foutu imitateur de ses idoles.



D’ailleurs, puisque l’on parle de Mission Impossible 3 : deux points évoqués par l’auteur méritent un petit complément d’explication :



  • Le premier tient au choix d’Abrams (qui n’a alors encore jamais réalisé de film) par Tom Cruise. Après avoir parlé de l’ouverture du premier épisode de Lost, l’auteur lâche un « En voyant cette entrée en matière de Lost, on comprend le choix fait par Tom Cruise de confier en 2006 les rênes de MI3 à Abrams, réalisateur officiellement néophyte au cinéma ; le pari avait peu de chances de mal tourner ». Je me permets de compléter ce point : c’était en premier lieu à David Fincher que Tom Cruise souhaitait confier la réalisation du film. Et après son départ, c’est Joe Carnahan qui a été choisi, avant de partir lui aussi. Ainsi, Abrams n’était pas le premier choix de Cruise (mais bien le second voire le troisième – je ne suis pas arrivé à comprendre si Cruise souhaitait ou non Carnahan). Plutôt que de s’extasier sur le pari que cela pouvait représenter (pari loupé en ce qui me concerne, l’opus d’Abrams étant le plus faible de tous), il eut été selon moi plus honnête intellectuellement de la part de l’auteur de préciser ce détail. Pour le coup, avec Fincher à la barre d’un MI, je pense que l’on aurait eu un grand film.


  • Deuxième point concernant MI3 abordé par l’auteur : il explique que le film est construit comme un épisode d’Alias (ce sur quoi je suis d’accord), ce qui serait selon lui particulièrement malin… heu, je ne vois pas en quoi. Autant j’aime beaucoup Alias (une série qui a bercé mon adolescence), autant je ne comprends pas bien où le fait de construire son film comme un épisode de série télé est quelque chose de pertinent. L’auteur s’extasie à plus d’une reprise sur les synergies cinéma/télévision mises en œuvre chez Abrams sans jamais nous expliquer en quoi cela serait bénéfique. Je suis désolé mais moi, un film qui s’ouvre sur son climax puis cliffhanger puis le fameux "24/48/72 heures plus tôt", j’ai du mal à trouver ça jouissif. C'est un gimmick superficiel et bien flingué qui faisait déjà pitié quand appliqué à un épisode de 40 minutes mais devient juste insupportable quand on parle d'un film de deux heures. C'est vraiment la manière la plus artificielle qui soit d'installer une tension et de faire monter la sauce. C'est le concept de la bande-annonce avant le film. Sur un épisode d'Alias, OK. Sur un film de cinéma, non. Même chose quand Abrams finit son Star Wars 7 sur un vieux cliffhanger (qui plus est très moche visuellement – un travelling aérien dégueulasse). Pour un épisode de série télé dont tu vas attendre la suite une semaine, OK. Pour un film de cinéma dont tu vas attendre la suite deux ans, c'est non. Clairement, pour moi, en intégrant les codes de la série télé au cinéma, Abrams nique clairement ses films. Alors je veux bien que l’auteur nous parle des synergies cinéma/télévision d’Abrams, mais à ce moment-là, il faut développer un peu. Partir du principe que d’incruster les codes de la série télé au cinéma est quelque chose de positif/souhaitable par essence, c’est quand même sacrément gonflé. On est bien d’accord que c’est un vaste débat, qui pourrait faire l’objet d’un livre entièrement consacré à ce sujet, mais quand tes éloges du cinéma d’Abrams reposent largement dessus, il faut développer un peu. C’est trop simple, sinon.



Du coup, pour en revenir à cette histoire d’Abrams qui s’élèverait au-dessus de cette terrible vague de reboots et de remakes stériles et vides de sens parce que lui aurait trouvé une manière personnelle et stimulante de pratiquer le méta-cinéma et l’art du reboot bla bla, bah ça manque vraiment d’arguments, tout ça. Parce que je suis désolé, mais nous lâcher que « Le type de relation qui unit Abrams et son mentor se retrouve chez l’héroïne du Réveil de la Force : façonnée par ses glorieux aînés de la première trilogie Star Wars, Rey est l’incarnation à l’écran de JJ Abrams, tandis que Luke Skywalker représente son Spielberg à elle. Ce transfert de personnalité entre l’auteur et son héroïne est ce qui prémunit Le réveil de la Force du glissement vers un cinéma méta trop appuyé et vide de toute substance », ben je suis désolé, mais ce n’est pas super convainquant. C’est même super léger. Parce que moi, je la cherche encore, la substance du Réveil de la Force. Sa vacuité me saute d’ailleurs d’autant plus aux yeux que, un mois seulement après lui, sortait le septième volet d'une autre franchise culte : Creed. Un septième opus qui, à l’instar de SW7, se calquait pas mal sur le film original (dont il est une espèce de suite/remake/reboot) dont il ramenait entre autres l'acteur principal, cette fois-ci dans le rôle du mentor. Et putain, la comparaison fait mal. On a effectivement d’un côté un réal (Coogler) qui a admirablement bien digéré le film original (Rocky) et en propose une variation moderne brillante et magnifiquement mise en scène, de l’autre une triste resucée insipide du film original (Un nouvel espoir) mise en scène super platement. Parce qu’au fond, c’est ça, le plus gros problème des films de Jar Jar Abrams… c’est que ses films sont insipides. Jamais jouissifs mais toujours inoffensifs et chiants comme la pluie parce que complètement nuls.


M’enfin bref, je vais m’arrêter là parce que je commence à saturer (puis je pense que je viens de passer plus de temps à rédiger ce torchon qu’à lire l’autre) mais voilà, je pense avoir grosso modo exposé mon avis sur ce bouquin. L’éternel recommencement pour ne pas dire l’éternelle resucée de ses films de chevet.


En deux mots : un essai pas bien convainquant. A l’image du réalisateur dont il est question.

ServalReturns
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le 31 déc. 2019

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ServalReturns

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