Tout ou rien...
C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...
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le 6 sept. 2013
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Attention, il existe un autre livre portant ce titre, paru en 2012, mais écrit par un autre survivant (je ne l'ai pas lu).
Autant le dire, j'ai au départ acheté ce livre car son titre m'avait fait glousser, puisqu'on attend pas a priori d'un kamikaze qu'il puisse écrire un livre sur son expérience.
C'est un récit écrit a posteriori (la première édition date de 1972), par conséquent il ne prend pas l'aspect d'un journal, ni même d'une autobiographie. Il commence sur ce qui déclenche l'incorporation de Riuji Nagatsuka, et se termine sur le retour de ce dernier à sa vie familiale. Mais c'est un livre qui a été écrit à quatre mains, avec l'aide d'un ami français, Maurice Toesca, qui le publie aux éditions Stock (tout cela est rappelé dans l'introduction de Christian Kessler. Il y a des passages qui donnent l'impression d'avoir été réécrits à l'aide de documentation, et donc qui semblent artificiels. Mais beaucoup de scènes de la vie de garnison dans une base aérienne font en revanche très authentiques.
A noter un double système de notes : celles écrites par l'auteur à l'époque, et celles de l'édition récente (elles font parfois un peu double emploi). Trois cartes (une au début, deux à la fin, sans que l'on sache bien pourquoi elles n'ont pas été regroupées, d'autant que celle sur les bases de kamikazés de Kyushu n'aide guère à la compréhension des documents. Il y a également une chronologie des attaques de kamikazes, ce qui fait de ce livre, par son apparat critique, un bon point d'entrée sur cette question (notamment concernant leur efficacité stratégique, et surtout leurs motivations).
On alterne donc une reconstitution synthétique de la guerre et une mise en forme de l'état d'esprit de l'auteur au fur et à mesure que la destruction du Japon semble inévitable. Il y a aussi des détails qui raviront les passionnés d'aviation (dont je suis), même si du fait de sa jeunesse, Nagatsuka ne fut jamais victorieux dans un duel aérien et eut une expérience courte des combats).
Chap. 1 - De la salle de classe au train vers l'inconnu.
Nagatsuka est un étudiant en lettres au lycée Shizuoka de Tokyo. Fils d'un sculpteur, il est passionné de français, en particulier de George Sand. Avec ses camarades, ils apprennent par le discours du général Tojo à la radio que tous les étudiants autres que ceux de science seront mobilisés. Certains passent des lettres à la médecine pour échapper au service. Avec des amis, Nagatsuka opte sans consulter ses parents pour l'aviation, car il a entendu les récits de brimades terribles qui touchent les conscrits dans l'armée de terre. Assez artificiellement, l'ouvrage reconstitue une discussion enflammée entre ses camarades, sur la question de savoir si oui ou non Pearl Harbor était une erreur. Malgré de fortes divergences, une conviction surnage : il faut se battre pour protéger la famille. A noter que ces étudiants de lettres plutôt pacifistes désignent en argot les militaristes comme les "Zols", bref les va-t-en-guerre. Après avoir travaillé quelque temps dans une usine d'armement, Nagatsuka est incorporé le 26 mai 1944 à l'école d'aviation d'Utsunomiya. Déchirement pour ses parents, sentiment de basculer dans un monde complétement étranger.
Chap. 2 - Tandis que la bouche dit "au revoir", le regard dit "adieu !"
En tant qu'aspirant, les incorporés n'habitent pas dans des baraquements à proprement parler. On leur apprend à abandonner le vouvoiement ("kimi") pour le tutoiement viril ("kisama"), à manger en 15 minutes, à courir plutôt que marcher. La formation théorique et pratique est intensive, avec expériences en planeurs. Ces débuts amènent un certain désenchantement mais les coupent de leur monde estudiantin. Début juillet, ils sont incorporés pour de bon à l'école d'utsunomiya. On leur distribue enfin le serre-tête, les lunettes et les moumoutes (combinaisons) d'aviateurs, et ils doivent s'habituer à passer du planeur aux avions (des chasseurs légers inutiles face aux B29 américains). Ils côtoient progressivement la mort, avec les premiers morts par accident. Nagatsuka se prend d'admiration pour un officier, Il nie qu'il y ait eu de mauvais traitements de la part des officiers de l'armée de l'air. La formation avançant, il voit partir vers d'autres garnisons ses amis Watanabe et Kagawa.
Chap. 3 - Autour de moi, le ciel était serein, comme si rien ne s'était passé.
Ce chapitre revient en détail sur l'avancée des Américains dans la bataille du Pacifique, avec les premiers signes inquiétants : un premier raid aérien sur Tokyo, le 24 novembre, qui laisse voir la supériorité des B29 ; la perte du cuirassé Musashi lors de la bataille de Leyte. Frustration de n'avoir surtout que des ki27, chasseurs légers dotés de mitrailleuses légères, et surtout d'être trop peu expérimentés. Nagatsuka se prend d'admiration pour un officier, Fujisaki. Premières sorties au combat à l'arrière d'un ki47, dont la vitesse ne permet pas de faire du mal aux B29. Ces derniers sont beaucoup plus nombreux depuis la perte de Saïpan, dans les îles Marianne.
Chap. 4 - "Mes parents, je vais quitter ce monde à 7 heures".
L'instruction doit maintenant s'interrompre par moment au fut et à mesure que les pénuries d'essence s'installent. Les chasseurs ne peuvent plus sortir à chaque fois qu'une attaque aérienne a lieu : sur les pistes, on fabrique de faux avions-leurre et on cache les vrais avions sous des tunnels végétaux. On parle de plus en plus des exploits de kamikazes (dont Nagatsuka fait la généalogie). Le 31 mars, le commandant Suénaga leur fait l'offre de former une unité de kamikazes, et la plupart l'acceptent. Pas sous la contrainte, plutôt afin de faire leur devoir, et car la culture aristocratique des pilotes, qui les sépare des "rampants", les prépare à se sacrifier. Il faut deux mois pour les former. Ils doivent désormais se préserver des attaques, ce qui implique de ne pas répondre à des chasseurs américains qui mitraillent la piste, et voir passer une énorme escadrille de B52 allant bombarder les quartiers populaires de Tokyo sans pouvoir réagir. Enfin, après plusieurs fausses alertes, le 29 juin, ils sont censés partir à 22 pour couler un escadre américaine. Mais seuls 18 décollent, car des avions sont mal en point. Et la formation de Nagatsuka, à mi-chemin, décide de faire demi-tour vu l'absence de visibilité, avec l'idée de remettre cela à plus tard. D'autres formations ne reviendront pas, sans signe qu'elles aient atteints leur but. Au retour, Nagatsuka et son équipe sont traités comme des lâches suscitant le dégoût. Il fait une dernière sortie, le jour du bombardement d'Hiroshima. Au cours d'un engagement, il est blessé à l'épaule et tombe en vrille, mais arrive à faire un atterrissage forcé. Après six mois de convalescence, en partie paralysé, il retrouve sa famille qui a précieusement conservé ses livres ; il va pouvoir reprendre sa vie d'étudiant, interrompue par la folie de la guerre.
J'étais un kamikaze, s'il est un récit reconstruit, fournit un témoignage de l'intérieur, par quelqu'un d'une grande finesse d'observation et d'analyse psychologique sur l'engagement de ces jeunes gens. On retiendra particulièrement la préparation au deuil et les états d'âme intérieurs qui habite ce pilote partant, le jour décisif, vers son objectif censé être le dernier.
Créée
le 26 juin 2023
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