Fascinante biographie fictive d'Isabel Barreto qui fut "la reine des quatre parties du monde", comprendre la marquise des Mers du Sud, comprendre la conquistadora du Pacifique Sud, découvreuse des Iles Marquises en 1595 aux côtés de son époux, le navigateur Alvaro de Montaña, précédemment découvreur des Iles Salomon.
Née en 1567 à Lima, au Pérou alors terre espagnole, cette noble et belle jeune femme au caractère bien trempé, partagea la passion de ses deux maris pour la "Conquête", qui pendant plus de deux cent ans a porté les conquistores espagnols dans leurs entreprises d'"évangélisation, de colonisation et de civilisation" des Indiens du Pacifique. Isabel Barreto fut de fait la première femme amirale de l'Histoire.
Après des recherches poussées et érudites, Alexandra Lapierre s'est lancée dans l'incroyable défi de décrire le périple fou de cette femme folle. Folle comme l'étaient tous ces êtres qui s'embarquaient sans cartes, sans longues-vues, sans GPS, sans capacité de se repérer en chemin, cernés par l'immensité liquide des océans, et avec à bord de leurs vaisseaux et galions imparfaitement étanches la lie de l'humanité censée "civiliser" les nouvelles colonies.
Chimères exaltées, rêves de gloire, appétits de richesses, utopies politiques, qui peut dire aujourd'hui ce qui motiva ces milliers d'hommes et de femmes à quitter l'Espagne pour le Nouveau Monde, ses climats, ses habitants, ses fauves et ses jungles, tous hostiles. Et au-delà du nouveau continent, de reprendre la mer pour aller droit devant soi se heurter aux indigènes, souvent cannibales, des archipels de l'infini Pacifique. Au nom de quelle foi et de quel roi ces fous ont-ils massacré, détruit, construit, exploité ?
"Je te vois reine des quatre parties du monde" est non seulement un beau portrait de femme, un bon roman historique pour qui aime les récits de navigation et d'exploration, mais encore et avant tout, il est selon moi un flamboyant tableau du spectacle qu'ont produit les fastes d'une société dominatrice, barbare dans sa rapacité et tyrannique dans son essor débridé.
Le roman se lit très bien, il est très imagé, les personnages, nombreux, sont bien fouillés. La fascination s'empare du lecteur au fil des pages ; une fascination de l'horreur lorsqu'il devient le témoin des conditions inhumaines de l'exploration maritime : insalubrité des navires, sauvagerie des naturels, barbarie des envahisseurs...
Un roman au souffle équipe qui rend témoignage plutôt qu'hommage à une période à la fois sombre et lumineuse de l'histoire de l'Espagne de la Renaissance.