Romain Rolland consacre un tome entier de sa grande oeuvre "Jean-Christophe" à un personnage autre que... Christophe qui n'apparaitra que dans les cinquante dernières pages.
Ici, l'auteur offre au lecteur une parenthèse féminine avec la biographie d'une jeune fille, Antoinette, dont le père, notable de province, se ruina avant de se suicider, laissant sa famille dans le plus grand dénuement. Réfugiée à Paris et en charge de son jeune frère Olivier, Antoinette fait âprement le dur apprentissage d'une vie laborieuse toute faite d'abnégation. Par deux fois, en Allemagne puis en France, son chemin croisera furtivement l'itinéraire de Jean-Christophe mais les sentiments nés de ces rencontres n'auront été que de brefs éclairs dans son existence avortée.
Sentiment étrange de retrouver en Antoinette beaucoup de la Lily Bart d'Edith Wharton que je viens juste de quitter ("Chez les heureux du monde" et "Jean-Christophe" ont été écrits à la même époque) ; satisfaction de me dé-focaliser l'espace de quelques heures de l'univers exclusivement musical de Christophe pour attacher mon intérêt au destin d'une jeune fille innocente et touchante, broyée par le Paris de la "Belle-Epoque".
Romain Rolland a dédié ce tome à sa mère et c'est sans surprise qu'on retrouve une nette touche autobiographique entre ses lignes. On devine Clamecy, sa ville natale, derrière la description de la "petite ville de Bourgogne" où est établie la famille d'Antoinette. Sans qu'elle fut ruinée, la propre famille Rolland "monta" elle aussi à Paris, et comme Olivier, le frère mélomane d'Antoinette, Romain Rolland, futur biographe des grands compositeurs, fut envoyé au collège puis à l'Ecole Normale. Aussi est-il impossible de ne pas ressentir comme une confession ardente les paragraphes consacrés à l'évolution d'Olivier, à son comportement et à ses aspirations.