Avec ce huitième tome, Romain Rolland situe son récit en 1909. Son héros, Christophe, est désormais un homme qui a mûri au soleil des expériences diverses, bonnes ou mauvaises. La grâce et la pureté sont entrées dans sa vie grâce à son amitié fraternelle pour Olivier, et le succès semble lui aussi devoir bientôt frapper à sa porte. Mais... cherchez la femme.
"Les amies", un titre qui annonce plusieurs présences féminines. Amies, amoureuses, épouses ou muses, elles sont en effet nombreuses tout au long de la narration, ces figures belles et marquantes. Hélas, elles semblent apporter plus de mal que de bien et vouées à détériorer ce bonheur pur enfin atteint.
Triste analyse de l'auteur de la psychologie féminine de son temps. Tour à tour misogyne ou "féministe", Romain Rolland est direct dans son propos : la femme, être le plus souvent neurasthénique, est incapable de s'occuper à des tâches intellectuelles et reste prisonnière comme aux premiers âges du besoin passionnel d'aimer et d'être aimée d'une part, et de la maternité d'autre part. L'auteur ne condamne pas la Femme mais dénonce son immobilisme et son oisiveté mal employée (il est bien sûr ici question des femmes issues des bourgeoisies, non des travailleuses). Ces trois citations me semblent plus parlantes que de longs discours :
"Elle était comme tant d'autres femmes, tant de ménages désoeuvrés, qui ont toutes les raisons d'être heureux, et qui ne cessent de se torturer. On en voit, qui sont riches, qui ont de beaux enfants, une bonne santé, qui sont intelligents et capables de sentir les belles choses, qui possèdent tous les moyens d'agir, de faire du bien, d'enrichir leur vie et celle des autres. Et ils passent leur temps à gémir qu'ils ne s'aiment pas, qu'ils en aiment d'autres, ou qu'ils n'en aiment pas d'autres, – perpétuellement occupés d'eux-mêmes, de leurs rapports sentimentaux ou sexuels, de leurs prétendus droits au bonheur, de leurs égoïsmes contradictoires, et discutant, discutant, discutant, jouant la comédie du grand amour, la comédie de la grande souffrance, et finissant par y croire… Qui leur dira :
- Vous n'êtes aucunement intéressants. Il est indécent de se plaindre, quand on a tant de moyens de bonheur !"
"Jamais vous n'imaginerez assez la cruauté de la lutte qu'ont à livrer les femmes indépendantes contre la société d'aujourd'hui, conservatrice et sans coeur, qui est moribonde, et qui dépense le peu d'énergie qui lui reste à empêcher les autres de vivre."
"C'était là une idée ancrée dans la tête de Christophe, que la richesse tue l'âme. Volontiers, il eût répété cette boutade d'un sage gueux à une riche oiselle, qui s'inquiétait de l'au-delà :
- Quoi, madame, vous avez des millions, et vous voudriez encore, par-dessus le marché, avoir une âme immortelle ?
- Méfie-toi de la femme, disait-il à Olivier, – mi-plaisant, mi-sérieux, – méfie-toi de la femme, mais vingt fois plus de la femme riche ! La femme aime l'art, peut-être, mais elle étouffe l'artiste. La femme riche empoisonne l'un et l'autre. La richesse est une maladie. Et la femme la supporte encore plus mal que l'homme. Tout riche est un être anormal… Tu ris ? Tu te moques de moi ? Quoi ! est-ce qu'un riche sait ce que c'est que la vie ? Est-ce qu'il reste en communion avec la rude réalité ? Est-ce qu'il sent sur sa face le souffle fauve de la misère, l'odeur du pain à gagner, de la terre à remuer ? Est-ce qu'il peut comprendre, est-ce qu'il voit seulement les êtres et les choses ?…"
Un tome au goût doux/amer pour le lecteur (et sans doute encore plus pour la lectrice) d'aujourd'hui mais dont le thème était osé en son temps.