[NB: Je tiens à préciser que mes connaissances en Histoire sur la période traité par le bouquin sont très maigres, et que je peux donc difficilement critiquer le bouquin sous cet angle là. Ca m'a paru bon, mais c'est à prendre avec des pincettes]

L'imagerie populaire occidentale a été, et continue d'être, extrêmement injuste avec l'action de l'Union Soviétique pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Que ce soit à cause de l'incompréhension que suscite le degré de violence et les pertes encaissés par l'URSS sur le front de l'est, ou en raison de l'habile propagande propagé par les généraux allemands dans leurs mémoires après la guerre (et soutenue par les USA, on est en guerre froide après tout), beaucoup de gens conservent cette idée de l'armée rouge comme une horde de barbares primitifs, ne comprenant rien à la guerre moderne et n'ayant gagné que grâce à leur supériorité numérique. Or, comme le montre cette biographie d'un des plus grands généraux du XXème siècle, c'est faux.

Ce livre est beaucoup de choses. C'est d'abord, évidemment, le récit de la vie de Joukov et du coup, une formidable plongée dans les transformations hallucinantes que subira l'empire russe puis l'URSS en quelques décennies. On démarre au fin fond de la campagne russe, pour se déplacer vers Moscou ou Joukov travaille en tant que cordonnier, avant d'être balancé dans le chaos de la première guerre mondiale, puis de la révolution. Joukov s'engage et, pour le lecteur pas forcément très calé en histoire soviétique, c'est un premier pan d'une histoire russe peu connue qu'on aborde: la guerre civile. Elle est longue, près de 5 ans, meurtrière, ressemble beaucoup à la contre-insurrection que tout le monde connait aujourd'hui mais sur des milliers de kilomètres. Joukov y participera dans la cavalerie, sa première expérience guerrière. Il décide ensuite de rester dans l'armée, découvre l'état dramatique de celle-ci en même temps que son bouillonnement intellectuel et la formidable doctrine que quelqu’uns des plus grands penseurs militaires du XXème siècle (Thoukachesvki au premier chef) sont en train de mettre en place. Il se bat en Mongolie, survit par miracle les terribles purges de 1937 et devient le héros de l'Union Soviétique pendant la Grande Guerre Patriotique. Trop populaire, trop important, il est mis au placard par Staline dès la fin de la guerre puis destitué par Khrouchtchev en 1957. Il part alors dans sa dernière bataille, celle de la mémoire, en écrivant sa biographie.

C'est aussi le récit de la Seconde Guerre Mondiale vu par Joukov. Celui de l'écrasante défaite de 1941, de la catastrophique retraite, de l’héroïque défense de Moscou puis du début de la reconquête, Stalingrad, Koursk, et enfin la course à Berlin. Le récit est militaire, les deux auteurs insistent beaucoup sur le déroulement des batailles et les stratégies à l'échelle des Fronts (c'est-à-dire, à l'échelle de Joukov) : on suit de plus la progressive reprise en main de l'armée rouge, qui passe d'une pitoyable caricature d'armée décapité par les purges en 1941 à une formidable machine de guerre à partir de 1943, qui sera supérieure aux allemands dans les points qui comptent (la stratégie et logistique), tout en restant en difficulté au niveau tactique, chose adoré par les allemands mais qui ne suffit pas à gagner une guerre.

La grande guerre patriotique est aussi politique: d'abord "simple" représentant de la Stavka (l'Etat-Major) chargé au nom de celle-ci de reprendre en main certains fronts, Joukov finit par devenir commandant adjoint de toute l'armée rouge. Ceci ne va pas sans susciter les jalousies et rivalités des autres officiers, rivalités encouragé par Staline qui y voit là un excellent moyen de garder le pouvoir (divide and conquer quoi).
La politique, c'est aussi chez Joukov le conflit permanent entre une fidélité (sincère) au Parti et le désir d'avoir une armée professionnelle. En ligne de mire, les commissaires politiques qui minent l'autorité des officiers et que Joukov va tenter (avec succès en 42, bien qu'ils seront réinstauré plus tard) de faire supprimer tout le long de sa carrière.

La relation entre Joukov et Staline est d'ailleurs un autre des sujets passionnants du bouquin, d'autant plus qu'elle illustre en partie la relation, très étrange pour un occidental, qu'ont les russes contemporains avec le dictateur soviétique. Joukov est très critique à l'égard de Staline, pour sa volonté de garder l'armée sous la coupe du Parti, pour le traitement des prisonniers de guerre soviétique après la guerre (qui seront considérés comme des traitres) et surtout pour les purges de 1937 qui enverront tant d'excellents officiers à la mort. Après la guerre, il sera ainsi l'un des artisans de la déstalinisation. Pourtant, au fond de lui, comme tant de russes, Joukov reste persuadé que Staline a été l'artisan de la victoire de 1945 et qu'il reste un grand leader. Ses critiques sont souvent légères, et Joukov à souvent tendance dans ces Mémoires (qui représentent une des sources principales de ce livre) à faire reposer les fautes du dictateur sur les épaules de ses conseillers.

Enfin, je crois que ce qui rend cette biographie vraiment passionnante, c'est qu'il s'agit avant tout d'une grande histoire, du grand classique de l'homme ordinaire placé dans des circonstances extraordinaires. Et je vais vous dire, à la fin de ce récit, je me suis retrouvé à ressentir de l'affection pour cet homme, qui n'est pourtant pas au premier abord le type le plus appréciable au monde et que d'ailleurs Jean Lopez n'hésite pas à égratiner régulièrement (notamment ses mémoires, pleines de contre vérités).
Pelomar
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le 12 janv. 2014

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le 12 janv. 2014

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Joukov : l'homme qui a vaincu Hitler
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