Terrifiant

Je ne crois pas qu'un ouvrage de ce genre puisse être reproduit ou imité de quelque manière que ce soit...

On est sur un journal intime certes, mais pas sur n'importe quel journal intime, un journal qui parle du corps d'un homme né dans les années 20 et qui s'éteint en 2010 à l'âge de 87 ans. Plutôt que de raconter sa vie d'un point de vue ressenti, ou émotionnel comme on peut le voir habituellement, Daniel Pennac choisit de se concentrer sur les expériences sensorielles et corporelles de l'individu (fictif) dont il raconte l'existence, de ses 13 ans, jusqu'à son décès. Et c'est brillant ! L'idée de départ est déjà intéressante car le corps est une machine en perpétuel changement, mais on ajoute à cela la plume de Pennac et les illustrations de Manu Larcenet, et voici un ouvrage assez unique en son genre !

Déjà ce qui frappe, ce sont justement ces illustrations. A chaque double page, Larcenet nous gratifie donc d'une illustration en lien avec ce qui est décrit par l'auteur, parfois macabre, parfois drôle, parfois les deux. Cet usage des expressions vides et la manière qu'il a de créer ce que j'appellerais des "ambiances" (je ne sais pas comment appeler ça autrement) sont très recherchées et parfois très dérangeantes (surtout quand ça parle de sexe).

Parce que oui, l'ouvrage parle beaucoup de sexe. Pas de ce qu'on ressent émotionnellement lorsqu'on fait du sexe, mais bien de toutes les différentes sensations corporelles que l'on éprouve sous différents angles et aspects différents. C'est d'autant plus intéressant que l'auteur aborde le sexe toujours de manière différente en fonction de l'âge dans lequel se trouve le protagoniste et son entourage. Cette manière de procéder vaut pour le sexe, mais vaut aussi pour toutes les aspects de la vie que l'on rencontre, que l'on a rencontré, ou que l'on rencontrera un moment donné (la forme physique, la maladie, le stress, l'effet de la joie sur le corps et j'en passe).

Mais ce qui fait surtout la force de cet ouvrage selon moi, c'est la partie où notre cher protagoniste (a-t-il un nom, j'ai un doute là-dessus), vieillit et voit ses capacités physiques diminuer peu à peu jusqu'à l'agonie qui mène à l'inexorable décès qui nous attend tous. C'est en cela que l'ouvrage est terrifiant, c'est que quel que soit la vie que l'on mène, on est tous voué à un moment donné à finir comme ce pauvre bonhomme, vieillissant, et de plus en plus faible avec une machine qui dysfonctionne de plus en plus. Pennac (et Larcenet encore une fois) retranscrivent extrêmement bien cet aspect universel qui rend l'ouvrage à la fois beau et profondément terrifiant. Peut-on faire mieux pour décrire la vie (et la fin de vie) d'un homme que cette œuvre d'art (excepté la mort de Louis XIV) ? Je pose sincèrement la question.