Lire le Journal d’un homme sans importance, c’est se retrouver dans la réalité de la fin du dix-neuvième siècle aux abords de Londres. George et Weedon Grossmith, les auteurs, ont pris un malin plaisir à caricaturer un Monsieur tout le monde et son entourage pour faire ressortir leur superficialité et leur manque de consistance en commun. C’est croustillant et le lecteur se délecte de l’ironie mordante de ce faux conte victorien. En effet, monsieur Pooter, humble employé sans envergure de la City racontant son existence sans surprises dans un journal, tient à se convaincre de sa superbe alors qu’il n’est qu’un homme modeste n’ayant pas les codes et se retrouvant dans des situations embarrassantes faute de logique et de bon sens. Publié à l’origine sous forme de feuilleton dans une revue, on ne peut que comprendre que des lecteurs attendaient ces tranches de vie dérisoire comme du pain béni pour les détendre de leur quotidien. Entre le couple Pooter magnifiquement dysfonctionnel voulant jouer les gentlemen farmers, leur fils Lupin fantasque aux fréquentations « douteuses », Cummings et Gowing ( les deux amis pique-assiettes de Pooter portés sur le cigare et l’alcool n’ayant pas la langue dans leurs poches), la galerie de personnages s’étoffe d’archétypes victoriens ( le patron faussement paternaliste, les cherche le sou sans vergogne où encore cette femme faisant du spiritisme). Grâce à Charles Pooter, les auteurs tirent à boulets rouges sur le début de la société de consommation, se moquent des gens dont les airs importants cachent une certaine vacuité et insistent déjà qu’à cette époque, le monde moderne n’est qu’une vaste farce. Quoi de plus réjouissant! Bien que ne dépassant pas les 230 pages, je conseille de ne pas lire ce livre d’une traite pour bien s’imprégner des personnages, des situations et finalement de voir que sous ce vernis en apparence respectable se cache une satyre féroce de la société. Ce manque de politiquement correct et cette liberté de ton font plaisir à voir pour l’époque et font de ce Journal d’un homme sans importance quasiment un documentaire sur la société anglaise où il fait bon s’attarder. Merci à l’éditeur d’avoir sorti des oubliettes ce feuilleton et de nous l’avoir fait partager dans sa riche substance près d’un siècle et demi plus tard.