Journal plutôt inconvenant d'une toute jeune fille par Gwen21
Membre du cercle restreint des auteurs libertins, Jacques Cellard fut également un éminent grammairien, un pointilleux lexicologue, un prolixe chroniqueur au Monde et un ancien professeur de lettres. Une telle maîtrise et un tel amour des mots expliquent en partie son penchant assumé pour la littérature érotique car - c’est bien connu et reconnu - la littérature érotique est un registre dans lequel notre belle langue sait s’ébattre avec autant d’esthétisme que de poésie.
Comme son titre l’indique, le présent roman se présente sous la forme d’un journal, celui d’une jeune aristocrate de vingt ans, Agnès de S., plutôt dégourdie, bien qu’ayant été éduquée en institution religieuse. Contrainte de passer ses vacances d’été dans le château familial, en Provence, Agnès n’a que peu de considération pour les prétendants énamourés qui s’agglutinent autour de ses jupes comme des mouches autour d’un rayon de miel. Le manque d’intérêt qu’elle leur porte est toutefois supplanté par une grande curiosité pour les choses de la nature, aussi profonde que son inculture en la matière. Le spectacle de la trique de l’âne du meunier, première manifestation concrète des théories sur la sexualité totalement fantasmées qui lui farcissent le crâne, est son premier pas sur la route de la découverte de soi. Auprès des pensionnaires de son enfance, Agnès a bien tenté de percer les secrets de Dame Nature sans jamais pouvoir étayer ses hypothèses de solides expériences. En tout cas, de solides expériences mâles.
Nous sommes en 1888, au seuil de la crise du boulangisme mais Agnès va bien vite se désintéresser de la politique qui agite le salon paternel pour s’intéresser de près aux charmes de sa femme de chambre, du jeune berger inculte qu’elle a pris sous son aile et d’une bonne amie de sa mère. Pendant ses années de couvent, ses questions, ses craintes, ses appétits n’ont reçu aucune réponse, aucun aliment ; elle qui, hier encore, était sur le point de se laisser marier comme une oie blanche, sent soudain naître en elle, dans la chaleur de cet été torride, des sensations nouvelles, des émotions délicieuses et une forme d’émancipation pour laquelle elle se découvre de jolies aptitudes.
Le "Journal plutôt inconvenant d'une toute jeune fille" allie la beauté de la langue à la volupté de ses tableaux tantôt champêtres, bourgeois, saphiques et licencieux. Jamais vulgaire, très esthétique, ce récit se lit en sépia et se teinte parfois d’une couleur sadienne, mais sans jamais tomber dans la pornographie chère au divin marquis.
Toutefois, je doute que ce récit tout en simplicité séduise la nouvelle vague de lecteurs qui pense avoir découvert les cinquante nuances de la littérature érotique à travers le soft SM ; ici la cravache sert à faire avancer son cheval, les boules d’acier à pointer le cochonnet et la cravate à sublimer l’élégance des messieurs.