Né le 12 mars 1922, Jack Kerouac aurait eu 90 ans cette année, ce qui a donné lieu à une profusion de publications sur le sujet, une adaptation cinématographique du roman culte On the Road, ainsi qu’une exposition au musée des lettres et manuscrits. Dans la foule des livres proposés, les éditions PUF proposent Kerouac et la Beat Generation par Jean-François Duval. Le parti pris de l’auteur n’est pas de dresser un essai sur le lien entre l’auteur de Big sur et ce que l’on appelle la Beat generation, mouvement (si tant est qu’il ait existé) dont Kerouac fut sans aucun doute la figure de proue. Ici, Duval s’est davantage attaché à l’idée de proposer divers entretiens de personnalités fortes afin de ne pas dresser un portrait mais plusieurs en fonction des témoins d’une époque révolue. Ces derniers, au nombre de cinq, en profitent également pour évoquer leurs impressions sur cette époque.
Tout d’abord, Duval retranscrit un entretien qu’il a eu avec Allen Ginsberg en 1994. Bien connu pour être l’auteur de Howl, poème longtemps censuré au pays de l’oncle Sam, Ginsberg fut également une personnalité emblématique de la Beat generation, reconnaissable entre autre à ses lunettes. Ce dernier évoque son attachement au bouddhisme et ne manque pas de relater sa relation avec Kerouac mais aussi William Burrough qui fut en son temps un aîné atypique, source d’inspiration pour ces jeunes gens ayant soif de liberté. Ginsberg évoque également Neal Cassady, comme le feront toutes les personnes interviewées dans cet ouvrage, Cassady étant une icône fondamental pour cette génération et un personnage maintes fois évoqué dans l’œuvre de Kerouac (notamment dans Sur la route sous le nom de Dean Moriarty). Ginsberg fait également référence à Bob Dylan – dont il fut très proche – qu’il n’hésite pas à considérer comme étant un véritable poète (le jeune chantre avait beaucoup été inspiré par les Beats).
Carolyn Cassady, elle, évoque à travers son entretien sa relation avec Neal et Jack, formant ainsi un trio amoureux, même si elle épousa Neal qu’elle avait connu en premier. Cependant, si elle fut très proche de ces deux hommes, elle n’a jamais pris la route avec ces-derniers, contrairement à LuAnne Henderson (rebaptisée Marylou dans Sur la route), la première petite amie de Neal, dont elle enviait peut-être secrètement le fait qu’elle ait pu partager avec eux cette partie si importante de leur vie.
Autre figure féminine de cette génération, Joyce ‘Joycey’ Johnson, fut la compagne de Kerouac. C’est avec elle qu’il décortiqua une nuit durant l’article élogieux qu’avait rédigé Gilbert Millstein sur On the Road pour le New York Times. C’est avec ce papier que Kerouac passa de l’anonymat le plus complet à la notoriété publique. Joycey revient sur cet épisode qui, s’il procura une très grande joie au couple, entama paradoxalement le déclin de Kerouac.
Dealer de toute la bande de joyeux lurons que composait la Beat Generation et acolyte des grandes expériences psychédéliques chères à ces-derniers, Timothy Leary fait un peu office de gourou de la bande. Ayant survécu de loin à Kerouac ou Cassady (puisqu’il n’est décédé qu’en 1996 d’un cancer), Leary revient sur ses relations avec les Beats, certes, mais évoque également le philosophe orientaliste Alan Watts (un des personnages des Clochards célestes de Kerouac) ou encore Aldous Huxley. Il traite également de la mort, de la cryogénisation et du cyberspace, offrant par là même, l’entretien le plus atypique que Duval ait pu livrer.
Poétesse de renom grandement inspirée par Kerouac et Ginsberg, Anne Waldman s’est évertuée sa vie durant à faire valoir l’importance des femmes au sein de la Beat Generation, ce qu’elle appelle les « Beat Women », qui inclut des personnages comme Carolyn Cassady ou la poétesse Diane Di Prima. Elle porte un regard très juste et lucide sur les personnages de la Beat Generation tout en n’ayant jamais vraiment bien connu Kerouac.
Enfin, Jean-François Duval conclu sa collecte d’entretiens avec Ken Kesey, l’auteur de Vol au dessus d’un nid de coucou, roman incontournable qui donna lieu à une adaptation cinématographique culte de Milos Forman avec un Jack Nicholson éblouissant (même si Kesey n’aura jamais clairement pris part au développement de ce film). Cet écrivain est davantage reconnu pour avoir fait des tournées avec son bus afin de procéder à des Kool-Aid-Acid-Test, sessions pendant lesquelles il faisait tester le LSD en toute liberté, tel un colporteur, à une époque ou cette substance n’étais pas encore illégale. Neal Cassady était de ces tournées et à ce titre, Kesey est un des derniers à avoir fréquenté ce dernier intimement avant sa mort. Pour lui, cette perte fut colossale : « Quand il est mort, ça a été pour nous comme si on avait rasé le Grand Canyon avec un Bulldozer géant. Il y avait en lui quelque chose d’une immense force naturelle, et soudain, cette force n’était plus là. »
Duval achève son ouvrage en effectuant une présentation succincte des figures phares de cette génération et des personnages évoqués d’une façon ou d’une autre par les divers intervenants dans ce livre.
Kerouac et la Beat Generation est fascinant à plus d’un titre et fournit logiquement une profusion d’anecdotes sur Kerouac et Cassady, les liens que ces deux figures éminentes entretenaient avec la vie et les femmes. On y découvre des hommes fragiles perçu de façon parfois différente en fonction des personnes interrogées. D’autre part, ce livre comporte une bibliographie et une chronologie extrêmement fournies pour tous les lecteurs curieux d’en savoir davantage sur la Beat Generation et ses acteurs fondamentaux.
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le 14 août 2014

Critique lue 135 fois

Anthony Boyer

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