Ecrire sur l'Afrique est une gageure : contrastes, risque de tomber dans l'étude de cas qui gomme les différences régionales, statistiques peu fiables... Mais Sylvie Brunel sait hisser son essai à la bonne hauteur, en arrivant à dégager les grands enjeux.


Le livre s'inscrit dans la lignée de L'Afrique noire est mal partie de René Dumont (1962), un ouvrage post-indépendance qui montrait les failles du développement africain (négligence du monde paysan, conflits pour le leadership, fragilité des frontières, poids des bureaucraties...). L'auteure s'efforce d'analyser le développement africain actuel, sans céder au mirage d'une Afrique à forte croissance qui serait désormais en bonne voie dans la mondialisation. Elle choisit pour cela un plan thématique, qui va à chaque fois proposer une radiographie du continent par le biais d'un thème précis. Il en résulte une vision qui peut sembler très contrastée, voire contradictoire, mais qui reflète les dynamiques de ce continent fascinant. S'efforçant de rejeter aussi bien l'angélisme humanitaire ou victimaire que le catastrophisme ou le fatalisme, Sylvie Brunel donne une image réaliste mais on ne peut s'empêcher de se dire que malgré ces efforts de clarté, de synthèse et d'étude concrète, le continent défie l'analyse.


Bon, Mme Brunel est parfois sans concession, et aime bien les acronymes (les 3M, Missionnaires, Militaires et Marchands, etc...).


La principale conclusion est implacable : le développement africain ne pourra être durable qu'avec une redistribution des richesses, notamment en direction de la jeunesse populaire urbaine, ce qui actuellement est encore très loin d'être le cas.


Le livre comporte un cahier central de cartes utiles et à jour et de nombreux tableaux statistiques. Dommage qu'il n'y ait pas quelques textes en annexes.


I - Trois représentations de l'Afrique qui se chevauchent.
Les trois images sont : l'Afrique de la misère, l'Afrique de l'exotisme, l'Afrique émergente. Diversité et émiettement du continent.


II - Les habits neufs de l'empereur.
Déconstruction de l'image de l'Afrique émergente, qui décolle : retard sur la condition des femmes, le Sida, l'insécurité alimentaire...


III - La revanche de l'Afrique ?
Les potentialités de l'Afrique, futur atelier du monde, réserve de ressources naturelles et afflux des IDE. Danger cependant des effets d'aubaine liés au prix élevé des matières premières. Persistance des 3M. Françafrique, Chinafrique, Obamafrique.


IV - Crises, autoritarisme et pauvreté.
Retour chronologique sur l'évolution depuis les indépendances : euphorie, décennie du chaos, crise de la dette. Passage du consensus de Washington (libéralisme et démocratie) au consensus de Pékin (droits de l'Homme au second plan). Exemples de politiques volontaristes de lutte contre la pauvreté (au Rwanda). Danger de l'Etat-rhizome.


V - Un eldorado énergétique et foncier... pour le reste du monde.
Or bleu de l'hydroélectricité. Brunel va contre l'idée d'un landgrabbing : les Etats, faute de savoir mettre en valeur leurs terres, les laissent sous concession (à court terme, donc en faible perte de souveraineté) à des Etats en manque de terre comme la Chine : vision originale.


VI - Le défi de l'urbanisation : la nouvelle banlieue du monde.
Les différents défis liés à une urbanisation galopante, qui veut que pour un habitant qui vient s'installer dans un habitat urbain en dur, quatre le font dans un bidonville. Enjeux de l'appartheid social des villes, situation explosive.


VII - L'émergence des classes moyennes : une réalité ambiguë
Difficulté d'analyser la classe moyenne, à partir du moment où on la réduit à tous ceux qui dégagent quelque chose de leurs dépenses contraintes. Trois systèmes d'approvisionnement qui se superposent marchés populaires, supermarchés, malls.


VIII - L'Afrique peut-elle se nourrir ?
Sur le régime traditionnel des terres, qui veut que la terre appartienne au village, mais avec un droit cédé pour un temps limité à telle famille pour l'exploitation, le tout tournant. Cela décourage les investissements à long terme. Cadastre encore peu fixé. Economie de la famine, mais énorme potentiel du développement agricole. Manque d'une industrie agro-alimentaire de transformation, pour dégager des plus-value.


IX - L'arc de crise sahélien et ses dangers
Richesse culturelle du Sahara. Tensions autour des Touaregs aux indépendances. Essor du plus grand foyer de terrorisme international. Brunel n'est pas optimiste.


X - Le rêve de l'exil.
Sur l'immigration, soit vers les régions côtières, soit vers l'Europe, qui a tort de ne pas comprendre ce qu'en attendent les Africains, et ce qu'elle pourrait en tirer face à son vieillissement.

zardoz6704
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le 15 avr. 2019

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