Après avoir publié le recueil de nouvelles Femmes d'Alger dans leur appartement en 1980 , et entre deux projets cinématographiques c'est avec L'amour , la fantasia que Djebar rompt un silence de cinq ans. Entre autobiographie ou plutôt semi-autobiographie et l'Histoire de la guerre d'Algérie, l'auteure juxtapose narrations entremêlées , regards du colonisateur comme celui du colonisé avec comme voix , des voix de femmes aux différents destins.
Le récit démarre avec la protagoniste qui sort de son corps pour se remémorer "fillette arabe accompagnée par son père" et commence alors à "se raconter" , Par la suite des chapitres on découvre une nouvelle narration qui s'ouvre sur les prémices de la guerre d'Algérie en 1830, une Histoire qui sert de décor et de toile de fond et qui est mise en parallèle des histoires des femmes , oppressées elles aussi et recluses comme l'est la patrie.
" Algérie-femme impossible à apprivoiser. Fantasme d'une Algérie domptée : chaque combat éloigne encore plus l'épuisement de la révolte. "
Entre éléments autobiographiques, discours rapportés et réécrits , Djebar déterre la mémoire collective pour mettre l'accent sur la mémoire individuelle des femmes. En résulte alors une chaîne de souvenirs fragmentés.
Assia Djebar use dans L'amour , La Fantasia une trame narrative hybride. Elle relate les événements historiques avec une narration objective , comme si elle ne faisait que les rapporter puis se saisit du "je" pour se glisser dans la peau d'une femme algérienne - qui n'est d'autre parfois , qu'elle-même - bousculant son récit-témoignage vers une poésie en prose où les sentiments prennent place et deviennent chant intérieur et cri révolté.
Elle reprend souvent les mêmes mots utilisés dans une narration précédente pour les conférer à une autre , parsemant le texte d'analogies implicites.
La lecture pour moi fut un peu perturbée , j'ai préféré les éléments autobiographiques et le récit hanté de Cherifa et Lia Zohra au regard du colonisateur même si ce composant reste essentiel à la structure innovante du roman.
C'est en racontant que l'auteure donne au récit son identité , l'écriture lui permettant de lever le voile sur les femmes ensevelies , de leur donner une "voix" et de ne pas les laisser s'estomper dans l'éphémérité de l'oralité. Elle raconte aussi comment l'écriture l'a libéré et comment les écrits des officiers français nous ont permis de laisser des traces des massacres effectués et de leur regard violeur et oppresseur.
Cela fait écho aux dires d'Hélène Cixous qui dit dans Le rire de la Méduse :
" ... Il faut que la femme s'écrive: que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l'écriture, dont elles ont été éloignées aussi violemment qu'elles l'ont été de leurs corps; pour les mêmes raisons, par la même loi, dans le même but mortel. Il faut que la femme se mène
au texte- comme au monde, et à l'histoire-, de son propre mouvement."