Dans tous les sens
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Commençons par un mauvais côté : comme livre à lire (si, si, il paraît…), l’Art nouveau n’est pas tout à fait une réussite : son format presque carré et sa couverture souple le rendent inconfortable à manipuler, une part de sa typographie et de sa composition (police sans empattements sur deux colonnes pour le texte principal) est clairement laide et le texte n’est pas avare de coquilles. On n’attend certes pas d’un livre sur l’Art nouveau qu’il soit composé comme un livre Art nouveau, mais c’est dommage.
Le volume est organisé à la fois géographiquement et chronologiquement, ce qui semble approprié au courant protéiforme et baladeur qui constitue son sujet. On commence avec l’Angleterre de Ruskin, Morris et des préraphaélites et on termine à Vienne, après des détours par l’Écosse, la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie et la Russie (ensemble !), Barcelone, l’Allemagne, la Scandinavie et les États-Unis. Et comme chaque endroit a sa spécialité, la structure est aussi définie par le domaine exploré (arts plastiques, architecture, artisanat d’art, livre, joaillerie, etc.) : l’Art nouveau rend justice à l’extrême variété des pratiques artistiques d’un courant qui, à l’image de Guimard, « ne fait aucune différence entre la création d’une assiette et celle d’un détail architectural » (p. 76).
À cet égard, les illustrations sont une réussite : variées elles aussi, abondantes, de bonne qualité, représentatives du domaine qu’elles explorent, et lorsqu’il le faut suffisamment grandes pour être impressionnantes (certains bijoux, par exemple, sont agrandis). Mais l’auteure ne se contente pas de montrer que l’Art nouveau est éclectique, elle le dit et le développe. Ainsi, sans négliger « une des caractéristiques majeures de l’Art nouveau : la conception unitaire de l’art » (p. 245), l’ouvrage s’attarde suffisamment sur chaque branche (lieux, domaines) principale de l’art nouveau pour les mettre en relations et les distinguer. C’est cependant quand le propos s’éloigne des Beaux-Arts et de l’artisanat d’art qu’il m’a paru le plus faible : les sources littéraires ne sont manifestement pas toujours ultra-maîtrisées, et les références à Maeterlinck ou Huysmans, par exemple, ressemblent parfois à des raccourcis bien hâtifs.
Pour le reste, l’approche est convaincante : très documenté, l’Art nouveau propose une vue d’ensemble mais dense – s’agissant tout de même d’un courant artistique mondial, qui s’étale sur au moins quatre décennies, traité en quelque quatre cents pages. On trouve dans l’ouvrage une alternance bienvenue entre des propos purement descriptifs, des notations théoriques plus synthétiques (« Les protagonistes de l’Art nouveau ne songent pas à introduire un aspect utilitaire ou social dans leur travail ; pour eux, l’œuvre d’art est dépourvue de sens utilitaire », p. 71), des considérations générales (par exemple, à propos de Gaudí, « Il ne faudrait pas rabaisser la production moderniste, mais ne pas oublier en même temps qu’un phénomène d’exception ne suffit pas à créer tout un style de qualité plus ou moins approchante », p. 200) et des quasi-digressions (sur Munch, par exemple, p. 287).
Pour ne rien gâter, Gabriele Fahr-Becker évite à la fois l’approche ultra-technique qui caractérise certains écrits de spécialistes et les élucubrations de critique d’art destinées à mettre en lumière l’intelligence supposée de leurs auteurs plutôt que d’éclairer leur objet d’étude : l’Art nouveau est un modèle de vulgarisation sérieuse.
Créée
le 31 juil. 2018
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