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Le texte :
Klaudia Meyer déteste être la fille de son père, Otto, concierge dans le collège qu’elle est amenée à fréquenter et dont l’origine allemande la met en butte aux railleries de ses camarades féminines et aux brimades (plus ou moins appuyées) de ses coreligionnaires masculins (dont certains ne sont pas sans embrasser les idées nationalistes). Nous sommes en 1986, à Londres.
Eliza Bennet a quitté la fac sans avertir ses parents pour poursuivre son rêve : danser. Après une audition qui se passe mal à cause de son trac, Eliza s’enivre dans une soirée qui lui donnera tout de même l’occasion de rencontrer l’amour de sa vie, Cosmo, artiste peintre amateur dans les bras duquel elle s’épanouit enfin. Nous sommes en 1997, à Leeds.
Eliza et Klaudia ne sont qu’une seule et même personne. Eliza a renié son passé (et surtout celui de son père dont on devine petit à petit qu’il a bien été nazi), faisant une croix sur ses origines et sur sa famille, s’inventant un présent et un avenir bâtis sur le mensonge : auprès de ses colocataires, auprès de Cosmo, auprès de ses parents avec qui elle garde des contacts (principalement sa mère).
Saskia Sarginson construit un livre qui sent d’abord bon la bluette d’été avant de prendre de la consistance sans toutefois abandonner totalement son pan sentimental. Elle alterne les chapitres relatifs à Klaudia (période 1986-1987, découverte progressive du passé de son père puis période 1996-1997 quand Klaudia essaie d’abandonner son rôle d’Eliza pour revenir auprès de son père), à Eliza (période 1996-1997, apprentissage de la danse, vie libre loin de ses parents avant de retourner à Londres) et à Ernst (l’oncle de Klaudia, qui raconte leur passé d’orphelins à Otto et à lui, l’arrivée d’Hitler au pouvoir, l’endoctrinement – plus ou moins facilité par le caractère de chaque adolescent – de la jeunesse allemande, la nuit de Cristal, l’amour d’Ernst pour Sarah, une jeune fille juive, la campagne de Russie à laquelle il participe, etc…).
On apprend donc petit à petit qui est en profondeur le père de Klaudia/Eliza. On a d’abord envie de croire qu’il n’est pas ce qu’il semble être avant de devoir accepter ce qui semble être la réalité, contrairement à Klaudia/Eliza qui vit dans le déni et le rejet : d’elle-même d’abord puis des autres, les rejetant pour ne pas, soi-disant, leur faire de peine mais ainsi en se punissant elle-même de ce dont elle n’est pas responsable.
Saskia Saringson joue, comme ses coreligionnaires en matière de suspens (ou de thriller même si ce livre n’en est pas un), sur les apparences pour tromper le lecteur, reste à la surface des choses, sur des impressions, des sentiments, des élucubrations à partir d’un fait pourtant précis mais biaisé par la totale subjectivité des personnages. Cela fonctionne d’ailleurs plutôt bien même si certaines ficelles restent un peu grossières parfois.
Efficace, bien écrit, des personnages attachants et d’autres troubles mais sans caractères trempés et définitifs, tout le monde ayant plus ou moins quelque chose à cacher et personne n’étant viscéralement bon ou viscéralement mauvais, Saskia Sarginson évitant de sombrer dans les caricatures trop appuyées, cet « Autre moi-même » nous engage, doucement mais sûrement, à réfléchir sur le poids de la culpabilité, sur la transmission d’une faute originelle et sur la responsabilité des générations futures pour les atrocités commises par les générations passées et sur la responsabilité de chaque être humain face aux abus de pouvoir et aux manipulations orchestrés par les dirigeants passés, présents et à venir de nos soi-disant démocraties.