Où l'Histoire devient une drogue dure.
Difficile d'écrire une critique sur un roman de presque mille pages si foisonnant qu'on a peur d'oublier d'en dire tout le bien qu'on pense. Voici donc la seconde livraison de son cycle consacré au XXème siècle que nous offre Ken Follett, écrivain à succès de romans d'espionnage, passé avec le même succès aux romans historiques. Une génération plus tard, on retrouve les personnages du premier tome et leur descendance, confrontés à la montée du fascisme, à la Deuxième Guerre Mondiale et aux tout débuts de la guerre froide.
Sur la forme rien ne change, Follett conserve la même écriture directe, fluide et incisive qui fait que l'on ne peut évidemment s'empêcher de tourner les pages. L'épaisseur de l'ouvrage, si elle peut paraître insurmontable est bien vite oubliée, on en vient à trouver le livre trop court. C'est sur le fond que le livre est d'une richesse incroyable, en digne héritier du premier tome. Une fois de plus Ken Follett démontre que c'est la manière de raconter une histoire qui la rend ou non passionante, même si c'est d'Histoire dont il s'agit. Il ne faut pas s'attendre à voir en action les grands noms de la Deuxième Guerre Mondiale, ou très peu, il s'attache à raconter la vie dans la tourmente des seconds couteaux, de gens de classe moyenne, pris dans un enfer dont ils ne voulaient pas. Il ménage toujours aussi bien les rebondissements, mais ici il se contente de se reposer intelligement sur ceux que la vérité historique lui procure en y brodant des histoires d'amour belles et souvent tragiques. C'est tout à son honneur, car on découvre alors que, pour peu que l'on sache choisir ce que l'on raconte, l'histoire du monde est captivante.
Rien ne nous est revanche épargné des abominations du régime nazi, les ratonades, les éxécutions arbitraires mais surtout, il prend soin de rappeler qu'à aucun moment une majorité d'Allemands n'a donné ses voix au parti nazi. C'est par un coup de force parlementaire, totalement indépendant de la volonté du peuple, qu'Adolf Hitler a réussi à se faire voter les pleins pouvoirs. Le mérite de Follett ne s'arrête pas là, il insiste tout au long de l'ouvrage sur l'importance de la résistance d'une partie du peuple allemand aux fascistes. Il rend un hommage appuyé à tous ces gens, socialement divers, qui ont pris le risque invraisemblable de "trahir" leur pays, conscients qu'ils étaient de la monstruosité de leur dirigeant et de sa cour.
On passe avec avidité en revue les grands événements de ce douloureux épisode de l'humanité, l'incendie du Reichtag, Pearl Harbor et surtout la course à la bombe atomique sur la fin de la guerre. Follett restant lui-même, une grand place est laissée tout au long de l'ouvrage à l'importance des réseaux d'espionnage qui ont, semble-t-il, eu une importance prépondérante dans le déroulement des événements.
Une fois de plus Ken Follett frappe très fort, mais surtout, il pousse à plusieurs réflexions. La façon dont il parle du peuple allemand est définitivement salutaire est va peut-être appaiser quelques rancoeurs qui, malheureusement, subsistent encore. On se demande au fil de la lecture si aujourd'hui, le temps ne serait pas en train d'effacer de notre mémoire le fait que les conséquences de certains dogmes nauséabonds qui nous ont menés droit en enfer, ne seraient pas en train d'être oubliées. On se prend à penser que la paix durable qui aurait été installée par la création de l'Union Européenne, n'est vraiment à l'oeuvre que depuis 1989 et la chute du mur de Berlin. Le recul qui permettrait de savoir si nous sommes définitivement en paix n'est finalement pas encore très important. Follett nous rappelle finalement à la précarité de nos régimes politiques et de nos modes de vie.
Un livre populaire donc, dans l'excellent sens du terme, qui apporte des clés de réflexions sur notre monde et son découpage géopolitique et pose la question des rapports de force présents et à venir, eux-mêmes appuyés sur des dogmes dont le communisme, qui n'est certainement pas moribond quoi qu'on en dise.