L'Homme-Alphabet par bilouaustria
Comme les deux mi-temps d'un match complètement dingue, il y a pour ainsi dire deux romans mêlés dans L'Homme-Alphabet de Richard Grossman. Sur près de 200 pages d'abord, un polar vaguement pynchonnien, qui ne rougirait pas devant le récent Vice caché du maître. Dialogues bien huilés, quelques hématomes par-ci par-là, et une intrigue qui pue le complot politique, bref ça joue à une touche (« file la métaphore » me conseille-t-on). L'équipe est emmenée par le fringant Clyde Wayne Franklin, personnage en quête de rédemption, mi-ange mi-démon, assassin de ses parents et poète de renom qui, le corps entièrement tatoué de lettres, traverse Washington à la recherche de Barbie, une prostituée. Un vrai pitch de ligue des champions ! Mais coup de sifflet. Tout le monde rentre au vestiaire : place en deuxième mi-temps au football total – le plus barré reste à venir.
La narration part soudain en vrille comme un dribble raté, la forme aussi, qui pourrait être dopée à la Douglas Coupland si le récit ne devenait aussi violent, noir et désespéré. « Hitchcockien » dit-on au Cherche midi, dans le sens où tout ce qui a précédé n'était que prélude ou Mc Guffin (notamment cette femme, Barbie) pour ce qui se profile. En réalité c'est Dante et son Enfer, rien de moins, qui ont inspiré à Grossman ces cercles de phrases dans lesquels le lecteur finit piégé comme un ballon dans les filets. Au centre de ces flammes vertes cauchemardesques, l'alphabet de Clyde Wayne Franklin devient un prétexte à une jonglerie maradonesque où le diable lui-même est appelé Le clown. Les pages semblent alors jaillir directement depuis son cerveau, de la pure oralité, quelque part à mi-chemin entre du Joyce et du Raymond Domenech. C'est donc, Dante oblige, une trilogie qui s'ouvre avec ce texte, à la manière d'une Divine comédie US modernisée, sous le titre American letters. Sous le chapiteau de Grossman, la littérature est aujourd'hui un cirque infernal, mais il promet de terminer sa série par un texte décrivant... le paradis ! Et si cette lecture hallucinatoire est parfois aussi éprouvante qu'un match contre le Real de Mourinho, elle nous laisse déjà espérer que 2011 sera l'année du beau jeu.