Boris Vian avait de nombreuses cordes à son arc. En plus d'être écrivain, musicien, poète ou encore ingénieur, il était également traducteur. Et c'est à lui que l'on doit la version française du roman de Nelson Algren. Dans ce cas précis, il semble compliqué de parler de traduction. J'imagine qu'il s'agit même plus d'une interprétation. En effet, la langue que l'on peut lire dans L'homme au bras d'or est à ce point argotique et expérimentale qu'elle semble tout simplement intraduisible. Il y a donc fort à parier que l'auteur de Vercoquin et le plancton en aura écrit sa version personnelle, puisée dans sa propre langue, plutôt que de rester coûte que coûte fidèle au texte d'origine. Et c'est certainement cette langue incroyable que je retiendrai de ma lecture.
La langue, certes, mais également les personnages : Frankie Machine, dit la Distribe, le Piaf, dit le Voyou, et toute la ribambelle de types interlopes aux surnoms éloquents et imagés qui gravite autour d'eux. Tous ces personnages, petites frappes et types louches, s'agitent dans le ballet romantique, cynique et poétique du Chicago des années cinquante. Et l'intrigue ? Oh, disons qu'en nous faisant suivre la descente aux enfers de la Distribe, partagé entre sa relation tendue avec sa femme et malsaine avec la drogue, l'intrigue n'est finalement que secondaire. Secondaire car l'auteur s'est clairement évertué, avant tout, à créer un décor pour ses personnages et à restituer l'ambiance propre au roman noir "hard boiled". Ainsi il plonge son lecteur dans les bas-fonds d'une société rongée par la violence, le désœuvrement, les spiritueux et la crasse. Et c'est indéniablement la langue qui rend tangible l'atmosphère de ce roman qui, pour l'anecdote, décroche le premier National Book Award ever. C'était en 1950.
Retrouvez l'article sur Touchez mon blog, Monseigneur...