C'est incroyable ce que peuvent renfermer 600 pages. Ici, en l’occurrence, pour citer l'éditeur, "une ville entière et des milliers de souvenirs". La ville, c'est celle du titre, Zephyr. Les souvenirs sont ceux de Cory, un enfant d'une douzaine d'années. Nous sommes en 1964. L'année est importante. En effet, avant d'être l'histoire d'une ville ou de l'un de ses habitants, ce roman est celui d'une époque. Une époque charnière.
Mais une chose après l'autre, commençons par le commencement.
Nous sommes donc en 1964, à Zephyr en Alabama, une petite ville calme et sans histoire, représentative du sud des États-Unis. Au début du roman, nous découvrons Cory, un garçon qui va sur ses douze ans et traverse l'existence avec légèreté. Un jour qu'il accompagne son père sur sa tournée de livreur de lait, il assiste à un accident : une voiture vient de finir sa course dans le lac. Pendant que Cory, impuissant, observe la scène depuis la rive, le père se jette à l'eau mais ne parvient pas à sortir le conducteur du véhicule. Cet évènement marque fortement les deux protagonistes et ouvre une intrigue qui fera office de fil rouge durant tout le roman. Mais avec les jours puis les semaines qui passent, d'autres épisodes viennent en partie éclipser l'accident et la trame prend doucement ses distances avec le mystère du lac. L'auteur y reviendra régulièrement mais on comprend vite que ce n'est pas réellement le sujet du livre.
Si le roman nous fait partager le quotidien de Cory, il offre également une reconstitution nostalgique et plus vraie que nature des années soixante aux États-Unis. Les années d'enfance, les sorties au cinéma, les virées avec les potes, les bastons contre la mauvaise graine. Et les rêves d'écriture ! Pourquoi d'ailleurs Cory n'écrirait-il sa propre version des évènements ? Et pendant que les gosses y usent les roues de leurs vélos, Zephyr pose un regard fantasmé sur la grande époque du farwest et sur les légendes qui l'ont marquée. Est-ce une manière d'oublier que la ville repose sur les cendres encore tièdes de la grande dépression et de la seconde guerre mondiale ? Qu'elle est encore très marquée par la ségrégation ? Ou alors est-ce pour ne pas voir que cette époque charnière en laissera inévitablement quelques-uns derrière elle ? Déjà, la société de consommation arrive à grands pas. La simple rentabilité laisse la place au profit à tous prix. C'est la fin des commerces de proximité, d'une certaine forme de relations sociales. Le père de Cory en paie d'ailleurs le prix fort, alors que les clients vont maintenant chercher leur lait dans des bouteilles en plastique au supermarché. Lui qui était déjà en pleine remise en question et qui portait le poids de la culpabilité et de l'incompréhension. C'est vrai, ça : qui était dans cette voiture ? Et comment celle-ci a-t-elle terminé sa route dans le lac ?
Le mystère du lac - on finit toujours pas y revenir - est un prétexte pour mettre en lumière le contexte dans lequel il s'est déroulé ainsi que pour confronter le père et le fils à leur destin. La relation qui les unit est forte et touchante. Et c'est une des grandes réussites du livre. Si l'auteur donne une dimension sociale et sociétale à son roman, il parvient à la situer à hauteur d'homme, à partager des sentiments humains, de l'amour, de l'amitié, de la haine, de la tristesse, toutes les étapes par lesquelles Cory devra passer pour devenir un homme puis, enfin, se retourner longtemps après sur les années soixante à Zephyr. Car, ne l'oublions pas, ce récit nous est porté avec le recul par un adulte, depuis devenu écrivain. C'est en tant que tel qu'il pose ce regard sur la ville de ses jeunes années, le théâtre de tous ces évènements, d'une atmosphère ancrée dans le réel mais ponctuée de touches fantastiques et d'un soupçon de magie.
Oui, on peut mettre tout ça dans 600 pages. Et bien plus encore.
Touchez mon blog, Monseigneur...