Un essai implacable et intéressant

Pierre Vermeren est professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne et il s'interroge dans ce court essai (une centaine de pages) sur les effets de la métropolisation en France. J'ai eu envie de lire cet ouvrage après avoir lu son interview dans l'hebdomadaire Marianne. Le constat qu'il dresse est dur mais lucide. La concentration des populations, des activités et des richesses dans les plus grandes agglomérations a des conséquences évidentes et graves au niveau environnemental, économique avec la sur-représentation d'activités du tertiaire supérieur dans les centre-villes, au niveau social aussi avec le creusement des inégalités entre les catégories sociales, au niveau politique et culturel (la démocratie française est bel et bien en crise avec la montée des mouvements populistes, communautaristes...). Conséquences enfin géographiques entre les territoires des centres des grandes villes parfaitement intégrés dans la mondialisation et ceux des périphéries éloignées qui accumulent les difficultés et perdent leurs services publics. Cette crise globale, accélérée par la situation sanitaire actuelle (sur laquelle l'auteur ne s'étend pas puisque nous sommes encore dedans et que ses conséquences économiques et sociales sont encore floues), a abouti à la crise des Gilets jaunes à laquelle Pierre Vermeren consacre un chapitre. L'auteur commence l'introduction de son essai avec les résultats en trompe l'oeil dans les grandes villes des élections municipales de 2020. L'ouvrage est constitué de 6 chapitres: Petite histoire du modèle métropolitain à la française (le phénomène n'est pas récent: il s'est accéléré après la 2nde Guerre mondiale mais l'haussmannisation de Paris à partir de 1860 peut être considérée comme une 1ère gentrification)/ La nouvelle économie de services à la française/ Sociologie des métropoles françaises au seuil des années 2020/ La tentation du repli et de l'isolement en site protégé/ Les impasses du modèle révélées par la crise des Gilets jaunes/ Les effets délétères de la diffusion du modèle métropolitain. C'est un ouvrage très intéressant, clair, accessible à tous et solide car s'appuyant sur de nombreuses données statistiques et références sérieuses. J'aurais par contre aimé que certains points soient un peu détaillés car ils sont passionnants mais bien sûr, le format réduit de ce livre ne s'y prêtait pas: par exemple, la comparaison éclairante faite dans l'introduction entre la France et ses voisins européens ou encore l'évolution dans le temps de la sociologie des métropoles. Pour le reste, un ouvrage qui fait réfléchir et qui permet d'envisager des solutions durables et urgentes (autres que de simples "mesurettes écologiques" qui ne sont pas suffisantes pour faire face à l'ampleur des dégâts). Retrouver une vraie mixité sociale dans les métropoles demandera du temps (beaucoup), des moyens considérables puisque les classes moyennes et populaires ont été progressivement obligées de partir vivre dans les périphéries de plus en plus éloignées des centres, et enfin une volonté politique réelle. Pas sûr qu'on s'y dirige et c'est pourtant la seule solution pour sortir de cette "impasse". La démonstration de Pierre Vermeren est en cela assez implacable: la métropolisation telle qu'elle se déroule depuis plusieurs décennies nous conduit dans le mur...Je conseille cet ouvrage à tous les curieux, étudiant(e)s et même lycéen(ne)s puisque la métropolisation dans le monde et en France est au programme de géographie de 1ère: "L'effet le plus saillant de la métropolisation du territoire français est d'avoir créé deux France séparées, l'une de l'autre, par leurs intérêts économiques et par leurs configurations sociales. Trente à trente-cinq millions de citoyens relégués dans la France périphérique ont pour l'essentiel été sortis du système de la production nationale de richesses" écrit l'auteur en conclusion. A lire pour s'interroger.