« Avec un usage suffisant de bon sens, le plan devrait progressivement se dérouler sans accroc »

En 1932, comme la Grande Dépression touchait une bonne partie du monde civilisé, un agent immobilier new-yorkais du nom de Bernard London publia cet article d’une trentaine de pages, qui introduit la notion d’obsolescence programmée (planned obsolescence pour les anglolâtres) et en propose des embryons théoriques.


Premier constat : l’expression n’est donc pas née de quelque critique de la société de consommation. Tout comme le terme propagande sous la plume des missionnaires de l’époque classique, elle se veut idéologiquement neutre. Car il s’agit bien ici de défendre un système économique – qui, en un sens, a fait ses preuves…
Deuxième constat : en termes de concept, c’est très pauvre. On n’est pas très loin d’un raisonnement du style « pour réduire le chômage, il suffit de donner du travail à tout le monde ». Fallait-il attend davantage d’un auteur qui écrit qu’« à force d’emprunter des impasses, on se heurte fatalement à une situation inextricable » (p. 15 de la réédition Allia) ?
Bernard London part du principe que « [son] pays, à l’image d’autres, souffre avant tout d’un bouleversement des relations humaines » (p. 10). Et moi qui croyais naïvement que la Dépression était la conséquence d’une crise économique elle-même causée par une crise boursière suscité par une bulle spéculative ! Mais non, « à présent, les hommes bafouent en toute circonstance les lois de l’obsolescence » (p. 13) : les responsables étaient donc ces salauds de consommateurs !
Troisième constat : il n’y a pas d’arnaque ! Rien n’est caché, c’est écrit noir sur blanc : il s’agit, « dans notre situation d’urgence actuelle, de mobiliser les choses mortes – matérielles et non humaines – comme les bâtiments vétustes, les machines dépassées et les marchandises démodées, afin de les envoyer au front se faire démolir dans la guerre contre la Dépression, et sauver ainsi le pays du chaos économique par la création d’emplois » (p. 40).
Je doute que même en interne, les publicitaires et les grands patrons tiennent ce genre de langage.


Pour être honnête, ce que notre agent immobilier entend par obsolescence programmée ne désigne pas exactement les procédés qu’on appelle ainsi aujourd’hui, et qui oscillent entre le matraquage publicitaire et le vice caché à échelle industrielle. Pour London, il s’agirait plutôt d’appliquer des dates de péremption à tous les biens, même à ceux qui ne se périment pas à proprement parler.
À partir de ces embryons théoriques, l’industrie n’a plus eu qu’à extrapoler. Mon téléphone portable n’est pas concrètement périmé après huit ans de loyaux services, mais il n’était sans doute pas conçu pour fonctionner pendant huit ans, et je ne compte plus le nombre de messages que mon opérateur m’a envoyés pour que j’en change. Bernard London trouverait tout cela naturel, et me reprocherait de bafouer.
Au bout du compte, l’Obsolescence programmée des objets m’a fait songer à Propaganda d’Edward Bernays : même bain culturel, même naïveté qui pourrait passer pour du cynisme, même conception consumériste de l’homme. Et même difficulté (voire un non-sens ?) pour donner à ce texte une note sur 10.

Alcofribas
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le 12 févr. 2021

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