"L'Ogre" (Ed. Grasset, 1973) est l'occasion, pour l'auteur suisse Jacques CHESSEX, de soumettre à notre jugement une question fondamentale: "Comment se libérer du Père? Suffit-il de le réduire en cendre et de l'enfermer dans une boîte pour qu'il se taise à jamais?"
Son héros, Jean Calmet, est professeur de latin au Gymnasium de Lausanne. Comme le reste de la fratrie, lui, le benjamin, a fui la maison, le silence de la mère et la sempiternelle toute puissance d'un père, monstre d'égoïsme et de suffisance qui, sous le couvert de son devoir de médecin entièrement dévoué à sa clientèle, n'existe que pour le combat qu'il mène en Seigneur contre la mort!
Mais si la mort potentielle de ses patients décuple ses forces de mobilisation à leur service, celle de son fils, toute symbolique peut-être mais pour autant dramatique, ne semble nullement le concerner.
Toute sa vie, il s'est comporté vis-à-vis de ce fils en juge, censeur, ogre et machine à broyer. Le seul but, semble-t-il, étant de le rabaisser pour que jamais le fils ne puisse faire ombrage au pouvoir du Père! A présent mort, la présence du Père, pourtant devenu poussière, est encore plus prégnante. Douloureux héritage qu'un Père trop large, trop glorieux, au sens étymologique du terme!
Jean Calmet pourra-t-il vivre sans l'Ogre? Et nous, moi, en tant que fils, en tant que père, quelle est ma force, ma place en lien avec moi-même et l'autre? J'ai aimé ce petit livre (206 pages) qui met des mots, des maux, sur les liens que nous tissons peut-être d'une génération à l'autre. Pour vivre, faut-il tuer le Père? ... Chacun y répondra à sa façon.