Je me faisais peut-être une fausse idée de l’Attrapeur de rats, m’imaginant quelque chose entre le Dostoïevski des Carnets du sous-sol et Kafka. C’est probablement ce qui m’a donné l’impression d’en sortir sans jamais avoir pu y entrer.
Pour le narrateur, c’est un peu différent : homme solitaire que ses rencontres rendent en définitive encore plus solitaire, il se retrouve livré à lui-même dans les deux cent soixante pièces désertes de la banque centrale d’une ville qui ne sera finalement guère évoquée. À ses yeux, « la comparaison avec un labyrinthe » s’impose (p. 32 de la réédition chez Noir sur blanc, dans une traduction de Paul Castaing). Un peu plus loin (p. 33), c’est « au fond d’un aquarium vidé de son eau, ou sur la banquise » qu’il s’imagine évoluer.
Dans tous les cas, un sentiment d’inadaptation, voire d’aliénation. Un téléphone, son unique lien avec le monde extérieur, ne le rassure pas : « – Cent sept vingt et un, scandai-je en articulant de mon mieux. / – Cent huit zéro un, répéta consciencieusement la téléphoniste d’une voix neutre » (p. 50). C’est peut-être là que son expérience de personnage rejoint mon expérience de lecteur...
Entendons-nous bien : les quelque soixante pages de l’Attrapeur de rats ne sont pas sans intérêt, et une évidente richesse littéraire naît de ses contradictions et de ses paradoxes. Il y a des images fortes – « Des fantômes peuplèrent les ténèbres. Je voyais le spectre velu qui hante les coins obscurs des chambres d’enfants au crépuscule » (p. 56). Et mal construit, le récit d’Alexandre Grine l’est au même titre que Moby Dick est bordélique, ou que les Carnets du sous-sol (tiens, tiens…) manquent d’élégance. Ça n’aurait donc pas dû me déranger.
Pourtant, quoiqu’on ne puisse pas parler d’hermétisme à propos de cette nouvelle, je n’ai pas pu y entrer. (Le narrateur entre dans la banque centrale grâce à son ancien épicier, devenu fonctionnaire. Un tel personnage m’a peut-être manqué.) Si bien que l’excipit prend une résonance particulière : « La suite n’a pas d’importance. Mais il dépend de moi que se prolonge le moment où je sentis sur ma tête la caresse de la douce main. Je dois conquérir la confiance… / Et maintenant, plus un mot là-dessus. » (p. 81).