Dans un premier temps, elle évoque la solitude qui a été souvent le lot des enfants nés durant cette époque sombre où la politique chinoise de l'enfant unique a engendré de très nombreuses familles à enfant unique, de contraventions pour les enfants surnuméraires, des centaines de millier d'avortements de fétus féminins et d'abandons de bébés filles. Dans ce contexte, il n'était donc pas rare que les enfants uniques soient laissés seuls à la maison pendant que les parents travaillaient. Un jour où s'était le cas de notre autrice, alors âgée de six ans, celle-ci s'est égarée suite à un voyage d'autobus, où après s'être endormie elle aurait quitter le bus en panique. La petite fille aurait marcher trois heures en larmes avant de finalement reconnaitre une des rues jouxtant la résidence de sa grand-mère. La présente œuvre a une trame similaire, mais fantastique.





Nous suivons une petite chinoise toute joliment joufflue voit sa maman quitter pour son travail, la laissant jouer seule dans la maison. Bien vite, elle se lasse de ses jeux avec elle-même, mais en découvrant un album photo, elle y voit sa grand-mère. L'idée lui prend alors d'aller lui rendre visite. Elle laisse un petit mot à l'intention de ses parents, pioche une pièce dans son porte-sous pour payer l'autobus, enfile sa veste et ses chaussures comme une grande et armée de son parapluie, quitte enfin le logement familial. Tout se passe bien pour la petite fille, mais elle s’endort durant le trajet. À son réveil, elle constate qu'il est presque vide et prend peur, alors elle quitte en toute hâte le véhicule et se retrouve en pleine forêt. Perdue, apeurée, la petite fille fait la rencontre d'un cerf à la stature majestueuse. Ce dernier va l'entrainer dans un lieu hors du temps et de l'espace, où elle peut jouer avec les nuages et s'amuser avec une jeune loutre. Mais malgré le plaisir manifeste qu'elle prend avec ses nouveaux amis finit par faire place à un sentiment de manque. Sa maman lui manque. Le cerf prend donc la décision de la raccompagner chez elle, où sa famille la cherchait activement. Elle regagne ainsi le foyer de son aïeule, retrouve les bras chaleureux de sa mère, de son père et de sa grand-mère et s’endort avec son petit jouet en forme de cerf prêt d'elle. Cette journée riche en émotion et en découverte se termine enfin.





Vous vous demanderez peut-être quel intérêt il y a à lire une bande dessinée sans texte? Les Sans Texte sont très appréciés des professeurs du niveau primaire parce qu'ils invitent à la narration libre. On peut ainsi faire parler les enfants et exprimer leur imagination à partir des séquences d'illustrations. Par ailleurs, il sont utiles pour les enfants qui ne savent pas encore lire ou lire en français et peuvent valoriser la lecture autonome avant de progressivement apprendre à lire de façon autonome. Enfin, c'est aussi un exercice de lecture différent, qui demande de décoder de façon plus pointue les illustrations. Bref, les sans textes, c'est à découvrir.





Dans les détails, je suis quand même perplexe devant l'absence de réaction des personnages adultes, pour qui une petite fille de six ans prenant le bus ne semble pas émouvoir outre mesure. Néanmoins, connaissant la mentalité asiatique en matière d'éducation, l'autonomie et le sens des responsabilités étant deux valeurs visiblement encouragés chez les plus jeunes ( en témoignent les nombreux mangas (BD japonaise) et manhua ( BD chinoise), qui mettent en scène des enfants particulièrement matures quand aux tâches ménagères et sur leur auto-discipline dans leur gestion du temps et des corvées), je me dis que peut-être, pour les chinois, ça n'a rien de notable. Et puis, comme l'indique l'autrice, les enfants uniques étant devenus nombreux, faire cavalier.ère seul.e devait être une norme.





Les émotions sont centrales dans ce sans texte. Les illustrations nous livrent tout un panorama de réactions et de non-verbal chez cette adorable petite exploratrice perdue. Il y a au début cet ennui, pas seulement celui de ne pas savoir quoi faire, mais aussi cette langueur qu'on ressent d'être seul trop longtemps. C'est d'ailleurs bien plus vrai pour les jeunes enfants, qui sont en pleins développement de leur lien d'attachement. Il y a la joie et l'entrain de l'aventure, quand elle part pour prendre le bus. Il y a la panique et la consternation d'être soudain seule en plein territoire inconnu. Il y a l'enivrement de la découverte et du plaisir de naviguer avec ses nouveaux amis animaux. Il y a l'affection et la sécurité de son allier le grand cerf, sorte de grand-frère spirituel. Bien sur, il y a de nouveau l'ennui, mais cette fois c'est bien celui de sa maman, son phare, son adulte sécurisant. Avec cette ennui vient la tristesse et la mélancolie de ne pas être à la maison. Il y a la joie des retrouvailles, à la toute fin. À travers les différents tableaux, on voit se peindre toute sorte d'émotions et de nuances émotionnelles sur les traits du visage de cette petite fille, mais le reste de son corps participe à ces nuances, tout autant. Même la lumière prend part à la narration émotive, peignant des jeux d'ombres et lumières pour mieux mettre l'accent sur le ressenti de notre petite protagoniste. C'est une grand force de l'autrice que de réussir à nous raconter sans mots cette épopée fantastique, à la simple force de son coup de crayon si doux et pleins de dégradés maitrisés.





La bande dessiné fait une soixantaine de pages, sa longueur convient donc davantage à un lectorat d'environ 8-9 ans, mais les 6-7 ans patients et habitués de la lecture peuvent également apprécier cette histoire.





Enfin, je retrouve la magie de la littérature jeunesse qui imprègne le présent livre, celle qui fait voyager les enfants dans leur imaginaire sans limites et qui illustre leur candeur attendrissante face au monde. C'est à la fois léger et tendre, sensible et onirique, dans un décor tout aussi doux et onirique. J'ai l'impression d'avoir regardé un Grand Esprit en forme de cerf accompagner une enfant qui a bien besoin d'un ami. Il y a un travail indéniablement soigné dans ce magnifique ouvrage et il a quelque chose d'intemporel qui devrait à la fois faire rêver les enfants que les adultes.



À voir, définitivement.



Pour un lectorat intermédiaire du 2e cycle primaire, 8-9 ans+



Catégorisation: BD fiction fantastique sans texte chinoise, littérature jeunesse intermédiaire, 2e cycle primaire, 8-9 ans+

Note: 8/10

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il y a 8 jours

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Shaynning

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