Proches depuis si longtemps et au soir de leur vie, Romain et Guillemette évoquent leur enfance, la dureté des parents - la violence transmise, les silences effrayants -, et, cœur toujours palpitant de leurs souvenirs, leur désir commun pour Gisèle, camarade de classe au corps volumineux, à la chair attirante, maternelle et érotique.


«Je me souviens de son odeur de feuilles de poussière de nuits miellées, celles de nos banlieues loin de Paris mais loin des forêts. Je me souviens de son odeur de chaud et de peur, son front brillait de sueur, ses bras ruisselaient et c’est comme cela que je l’ai aimée, dans des plis de robe et d’eau. Jamais mon corps n’a été si grand, si vaste, jamais mes poumons n’ont accueilli autant d’air, autant de vie, jamais je n’ai senti si près de me bouche autant de cris joyeux.»


Figure de désir aux antipodes des stéréotypes adultes, avec son corps de reine blanche et placide qui semblait dès l’enfance être celui d’une femme, avec une attitude qui semblait détachée des liens qui font souffrir, Gisèle était entière. Elle n’était pas aimée de sa mère, elle n’avait pas de père, mais elle, elle était libre.


«Gisèle bâille, la bouche grande ouverte comme si elle voulait s'aspirer elle-même, toute entière dans son corps. Elle regarde la maîtresse comme on regarde une mouche, elle la chasse de son cerveau génial : un monde exprimé dans un corps, un monde qui fait un tout, un seul et qui expiré tout : la chanson des rondes, les peupliers des rondes, la craie blanche, le pain du goûter, Colette et la blouse de la maîtresse constellée de grosses fleurs bleues comme la robe de chambre de maman.»


«L’envoleuse», paru en août 2014 aux éditions Verdier, résonne très fortement avec le magnifique «Césarine de nuit» d’Antoine Wauters, et réussit la prouesse de dire, avec justesse et sans commisération, les cœurs abimés de l’enfance et le désir intact en dépit des années, dans un récit intense qui s’écoule comme un chant célébrant avant tout la force du langage.


«Je veux te faire avaler de force tous ces mots qui bouillonnent en nous depuis une éternité d’années pour que tu puisses trouver le repos. Tuons avec nos mots celle qui t’aima, qui m’aima, qui fut cruelle et belle, aimable mais fuyante comme le pain qui s’émiette faute de mieux sur les tables froides des hôpitaux.»

MarianneL
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 8 juil. 2014

Critique lue 1.1K fois

1 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

1

D'autres avis sur L'envoleuse

L'envoleuse
MarianneL
7

Critique de L'envoleuse par MarianneL

Proches depuis si longtemps et au soir de leur vie, Romain et Guillemette évoquent leur enfance, la dureté des parents - la violence transmise, les silences effrayants -, et, cœur toujours palpitant...

le 8 juil. 2014

1 j'aime

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4