L'été 76, sorti au printemps dernier, est un livre déroutant. D'un très grand classicisme formel et narratif – ce qui n'est nullement un défaut pour l'auteur de cette critique, entendons-nous bien –, il est l'un de ceux qui alternent perles littéraires et motifs d'agacement. La faute à un "pacte de lecture" mal défini et à un ouvrage très inégal, entraînant par sa narration, pesant par quelques réflexions pataudes qui nous rappellent que oui, un écrivain ne peut pas toujours s'improviser sociologue.

Le synopsis ! Le narrateur – nous sommes ici dans une autobiographie – a un peu moins de quinze ans. Dans son lycée, une jeune fille, plus âgée, exaltée, révolutionnaire, mais pas que. Il est fasciné par elle, grandit au travers de cette pure amitié – le jeune garçon se défend de toute inclination sexuelle à son égard, préférant la moiteur de l'été 76 pour faire ses gammes – faite de politique, mais bien vite d'art, de réflexion et de tentations créatrices. Le narrateur, pris dans une quête foisonnante de pureté et d'expression artistique, franchit peu à peu les étapes de l'adolescence comme autant de passions musicales, faisant sa propre révolution : intime, imaginaire, référencée, influencée, mais de laquelle se dessine, peu à peu, le cheminement d'un véritable jeune homme.

L'été 76 est donc un livre en deux parties qui se trouvent être incroyablement inégales : si la première ("Dieu, Amour, Anarchie") ravit, la seconde ("Quand j'étais moderne") est bien plus intermittente.

"Dieu, Amour, Anarchie", est une réflexion extrêmement juste sur cet âge de la vie. L'auteur convainc quand il s'attache à son personnage principal : à travers des intérêts artistiques éphémères, la tentation de s'extraire du commun des adolescents, le mépris ou la volonté d'être accepté, les "saynètes" universelles de la vie lycéenne sont d'autant plus savoureuses qu'elles s'accompagnent d'une mise en contexte brillante. L'auteur arrive à nous faire vivre le milieu des années 70 par la simple force de ses descriptions ou des tribulations de notre jeune "héros". L'été 76 fait donc plus que remplir le cahier des charges du "roman de formation".

Dans "Quand j'étais moderne" en revanche, il raconte la suite de cette adolescence à travers le prisme de l'adulte de 2011 qu'il est devenu. Et son écriture ne survit pas (ou peu) à cette troublante ambition sociologique où sont compilés quelques clins d'œil (très) très faciles (changement climatique, centres-villes, consommation) et les réflexions maladroites, voire douteuses. Que Benoît Duteurtre soit un narrateur et un conteur de talent, très bien ; qu'il soit un bon contempteur de notre temps prête plus sérieusement à discussion. Donner une dimension sociologique à une œuvre n'a jamais été un crime, bien au contraire, mais introduire des chapitres entiers à portée sociologique nécessite une pensée un peu plus complexe que celle qui est exposée dans ce roman-ci.

[À tire d'exemple, l'intermède qui sépare les deux parties de l'œuvre relève plus malheureusement d'une compilation de clichés sur la jeunesse actuelle que d'une analyse de l'évolution de la jeunesse en 40 ans – quand bien même elle serait utile, ce qui n'est nullement le cas ! En d'autres termes, lorsque l'auteur s'attache à nous raconter "son" 1976, il brille comme lorsque – au beau milieu de la première partie – il s'autorise un chapitre de réflexion sur la perception de la modernité et du progrès qu'avaient les gens de l'époque ; en revanche, lorsqu'il ne résiste pas à la tentation de raconter "1976" avec sa grille de pensée 2011 dans un coin de sa tête, il perd autant en intérêt qu'en finesse tant il cède à la facilité.]

En conséquence, le pacte de lecture – la sincérité due à l'autobiographie – est d'autant moins respecté que l'on soupçonne – peut-être à tort – l'auteur de refaire quelque peu l'histoire ; non pas qu'il enjolive son passé, mais qu'il le raconte avec les lunettes déformantes de celui qui ne peut s'empêcher de (gentiment) mépriser le présent. Au fur et à mesure que s'insinue ce doute, chaque irruption du Duteurtre de 2011 dans ce récit de celui de 1976 devient superflue.

Malgré ces regrettables incartades – qui, vous l'aurez compris, ont quelque peu gâché la lecture de l'auteur de cette critique –, L'été 76 recommence à briller, dans ses trente dernières pages, où, peu à peu, le flétrissement de l'adolescence laisse place à l'heure des choix. L'auteur, sans jamais tomber dans la gravité, nous fait comprendre qu'il s'agit bien là de la fin d'un âge de sa vie. A l'innocence initiale de ce fils croyant de bonne famille – devenu successivement pseudo-"de gauche", pseudo-"baba cool", véritable passionné et créatif en puissance, reflet d'une époque qui se voulait ultra-moderne, préfigurant la chute des vieilles idéologies – succède alors le constat du temps qui passe, à travers le déclin d'un grand-père ex-force de la nature, ou bien le destin d'Hélène la volcanique à qui la vie aura imposé à ses idéaux une drôle de destinée. Et finalement, après la frénésie saccadée des découvertes adolescentes, cela annonce, peu à peu, l'arrivée d'un autre âge, qui aura lui aussi son propre rythme. Même s'il est encore loin d'avoir atteint l'âge de raison...

Nous le quittons à l'aube de ses dix-huit ans seulement. Et serions ravis de le retrouver pour la suite de ses escapades estudiantines si Benoît Duteurtre version 2011 pouvait se mettre entièrement de côté pour mieux laisser s'exprimer celui de la fin des années 70, qui a bien plus de choses à dire, et surtout à nous apprendre.

TM
madamedub
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le 17 nov. 2011

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