Critique publiée dans le cadre des Explorateurs de livres 2019 du site lecteurs.com
L'Île introuvable est le roman de la ville, des intellectuels et des gens compliqués, torturés par la vie dans tout ce qu'elle a de plus vaine et superficielle.
Un vrai coup de coeur pour moi que cette Ile introuvable. Un méta-roman, qui traite de notre rapport à la fiction, à la littérature, à la lecture et à l'écriture. Un roman sur le roman, une mise en abyme qui n'est pas pour me déplaire quand elle est faite avec autant de facilité dans l'écriture. On trouve des comparaisons à foison, et surtout de nombreuses citations d'autres oeuvres littéraires, qui viennent nourrir le roman et lui donnent constamment un autre éclairage, une autre façon d'éclairer son propos.
En terme de rythme, le prologue est vraiment excellent, il m'a plongé tout de suite dans l'histoire et m'a donné envie d'en savoir plus. La première partie pose les bases de l'intrigue de façon beaucoup plus molle, mais elle permet de bien cerner le personnage principal de Ravanec, l'anti-héros romanesque par excellence, l'auteur raté qui cherche à survivre dans l'impitoyable et débauché monde de l'édition des années 1980 à 2019. Mais le livre prend véritablement son envol avec la seconde partie, où l'auteur s'attache plus à décrire le personnage de Zaïd, haut en couleur et simplement exaltant, avant de finir son oeuvre par une troisième partie brillante, qui résout tous les conflits, donnent les clefs qui me manquaient à la fin de la première partie, ballotté que j'étais par une intrigue qui ne révèle pas ses ficelles avant la dernière ligne droite.
Je crois que ce livre est avant tout un texte à clef. On sent par exemple de nombreuses références cachées ou révélées dans le choix des noms de lieux ou de personnages : l'île de Vitanuova fait référence à la Vita Nova de Dante, le nom de Ravanec fait inévitablement penser à Ravaillac ou à Ravachol, Zaïd s'impose comme un caïd, Jacques Lousteau fait chez moi écho avec Etienne Lousteau, un des personnages de Balzac, etc.
C'est bien évidemment un livre hommage au Comte de Monte Cristo d'Alexandre Dumas, qui le parodie, l'adule et s'en détache, le chef d'oeuvre étant une référence récurrente et omniprésente dans l'ensemble du roman, à tel point qu'un des personnages possède une bibliothèque entière des différentes éditions du roman. C'est dire si ce livre a dû obséder Jean Le Gall.
Un roman exigeant donc, qui sera d'autant plus apprécié que son lecteur possède une bonne culture littéraire et une bonne culture tout court. Je n'ai pas compris la plupart des références qui sont faites, je ne connais pas non plus ou trop peu la majorité des personnages qui sont évoqués (la musique de George Michael, des auteurs comme Tom Wolfe, Simon Leys ou Gustave Thibon, des critiques littéraires comme Matthieu Galey, etc.).
Mais certaines références, plus accessibles à ma génération des années 1990, m’ont beaucoup fait rire. Je pense par exemple aux mises en scène de personnages réels comme François Hollande avec ses blagues douteuses, d'autres sont simplement évoqués comme Balladur ou François Mitterrand. Je ne suis pourtant pas du tout fan de politique, mais ce qui me plaît ici c'est justement sa critique acerbe et très juste. Tout le monde en prend pour son grade, ceux de gauche comme ceux de droite, même si ce sont les centristes qui ont droit à leur plus belle diatribe.
Une scène notamment, démontre toute la culture littéraire de Jean Le Gall, celle où deux personnages élaborent un "planétarium littéraire", où chaque écrivain représente une planète plus ou moins proche, ou très éloignée des autres planètes constituées par leurs semblables, au mépris des époques. Ainsi Jules Renard côtoie Alphonse Daudet, Stendhal rayonne partout, Alexandre Dumas n'est qu'à quelques encablures de Joseph Conrad. L'amour des oeuvres et des auteurs est ici palpable, et c'est un livre qui, à la façon de La Cité des Livres qui Rêvent de Walter Moers, est un chant d'amour aux livres, aux écrivains et à leurs oeuvres, et qui démontre leur pouvoir d'attraction et d'évasion.
La force de Jean Le Gall est à mon sens d'avoir su digérer l'ensemble de ses lectures, qui doivent être très nombreuses, pour en restituer une oeuvre telle que l'Ile introuvable, un vrai roman d'un amoureux du roman, une fiction qui parle de fiction, et qui en parle bien, pour mon plus grand plaisir.
Un roman hommage à la littérature que je prendrai plaisir à relire plus tard, lorsque ma propre culture littéraire aura grandi, et que je pourrai découvrir de nouveaux sens cachés au texte qui m'ont échappé je le sais à cette première lecture innocente.