*Un scorpion cherchait à franchir une rivière. Soudain, il aperçoit un crocodile en train de nager non loin de la berge. Il l'appelle et lui demande s'il peut le prendre sur son dos pour le faire traverser.
"Oh non, rétorque le crocodile. Je te connais. Quand nous serons au milieu de la rivière, tu me piqueras, et je mourrai.
- Pourquoi ferai-je une telle chose ? Répond le scorpion. Si je te pique et que tu meures, je me noierai."
Le crocodile réfléchit un moment à la réponse du scorpion, puis accepte de le faire traverser. Arrivé au milieu de la rivière, le scorpion le pique.
Mortellement atteint, tout juste capable de respirer, le crocodile proteste : "Pourquoi as-tu fait ça ?"
Le scorpion réfléchit quelques instants, puis juste avant de se noyer, répond : "Parce que c'est l'Afrique."
C'est par cette courte historiette que débute chacun des trois romans rassemblés dans cette intégrale. À chaque fois, ce fabliau est rattaché à la culture d'un pays d'Afrique différent, respectivement le Kenya, le Zimbabwe et l'Ouganda. Et à chaque fois, Mike Resnick rappelle non sans arrières pensées que toute ressemblance entre les pays en questions et les planètes dont il va être question ici serait, évidemment, fortuite.
Car c'est en effet de cela qu''il est question ici. Chacun de ces trois romans, (titrés : Paradis, Purgatoire et Enfer, en référence à la Divine Comédie de Dante) dresse le portrait d'une planète extraterrestre à l'occasion de son premier contact avec l'Humanité. On a donc Peponi (pour le Kenya), Karimon (pour le Zimbabwe) et Faligor (pour l'Ouganda).
Le vernis SF est donc ici un prétexte pour parler de la colonisation, et plus précisément de la décolonisation, de ces trois planètes, qui font écho aux pays susmentionnés. Chaque histoire sonne donc à la fois comme un rappel historique des évènements passés, mais également comme une mise en garde contre les dérives auxquelles peuvent mener les visées expansionnistes (même animées des meilleures intentions) si l'on n'y prend pas garde.
Cependant, le choix de planète extra-terrestre n'est pas innocent, mettant davantage encore l'accent sur les discriminations raciales ayant accompagné nos colonisations terriennes, en mettant en scène des autochtones fondamentalement différents des Humains (des lézards humanoïdes pour la planète Karimon, par exemple).
On assiste donc aux manœuvres de colons dépossédant à vils prix des indigènes trop confiants, aux traités déséquilibrés signés entre Humains et autochtones, aux guerres inévitables qui finissent par en découler, ou encore à l'établissement de régimes corrompus ou homicides une fois les colons dépossédés du pouvoir.
L'occasion de réfléchir aux injustices passées dont l'Afrique paye encore le prix aujourd'hui.
Malgré la gravité et parfois même l'horreur des faits rapportés par Resnick, on retrouve au fil de ces pages ce qui fait la qualité de ses ouvrages à mon sens : son respect de toutes les cultures, la justesse du traitement des personnages et de leurs réactions face aux évènements auxquels ils sont confrontés et le profond humanisme qui se dégage de son écriture.
Une trilogie dont la réédition est amplement justifiée, et pour laquelle je remercie (s'ils lisent ses lignes, ce dont je doute) ActuSF, car trouver ces romans en occasion relevait de la gageure.