La Chair de l'empire par DuarteLaurent
Sans aucun doute, La chair de l’empire est d’ores et déjà un ouvrage incontournable pour les études coloniales. Cette série actualisée d’articles d’Ann Laura Stoler croise analyse de genre et racial studies afin de comprendre les logiques de contrôles de l’intimité et d’éducation sentimentale dans les sociétés coloniales. L’ouvrage est d’autant plus intéressant, qu’il recoupe des chapitres écrits entre 1980 et aujourd’hui, permettant de composer une chronologie générale des études coloniales.
Dans une approche foucaldienne, Stoler décrit à merveille l’entreprise de police du corps et de biopouvoir menés par les élites coloniales. Le maintien de l’ordre colonial, c’est-à-dire de la division raciale de la société, eut pour canal favori la sexualité : le pouvoir parle de race par la sexualité. Les rapports sexuels au sein des empires d’outre-mer étaient donc à la fois le fruit et le vecteur d’une délimitation des frontières de race et de classe. Ils indiquaient les barrières sociales et renforçaient l’idéologie de la pureté européenne et du péril métisse et indigène.
À travers une politique stratégiquement planifiée de contrôle des désirs, le pouvoir colonial ne cesse d’affirmer l’exceptionnalité européenne et de construire l’identité nationale à travers un racisme culturel non déguisé. Le racisme culturel et la construction d’une virilité et d’un danger sexuel indigènes trouve encore un certain écho dans les débats ethnographiques et sociologiques actuels. La chair de l’empire parle d’hier et d’ailleurs mais aussi d’ici et maintenant. En resituant la race et le sexe au cœur de l’empire, l’auteure interroge « l’aphasie coloniale », c’est-à-dire l’incapacité d’énoncer l’histoire des colonies, et « les débris d’empire », ces retours spasmodiques des douleurs et crispations liées aux entreprises impériales.