J'ai déjà lu de cet auteur l'album jeunesse "la plus terrible pirate" et j'avais beaucoup aimé ce contre-stérotype.
Je vois bien que la parution de son nouveau roman en France a bien fait rire les lecteurs et personne n'a relaté ce que je m'apprête à mettre en lumière. Car voyez-vous, ce roman est sur nos tablettes de librairie québecoises depuis peu, mais s'il est en soit original, les stéréotypes sur le Québec sont très nombreux et je doute qu'il soit vendu pour cette raison.
Je tiens à souligner que je suis ravi de voir une représentante du Québec en la personne de Mirabelle Pantoute dans le roman, mais c'est un peu frustrant de constater que pratiquement tout ce qu'il lui ait associé est soit stéréotypé soit erroné. Je m'explique.(Sinon, passez à la fin).
Bon ça va plomber l'ambiance de commencer par cet élément, mais je dois vous signaler une chose importante: le mot "TABARNAC" ( en fait, ça s'écrit "tabarnak" monsieur Petitsigne) est un JURON TRÈS GROSSIER. Il s'agit en fait d'un "sacre" québecois, le pire du lot. Pour vous donner un comparatif, "tabarnak" est au français québecois ce que "fuck" est à l'anglais américain. Et tellement plus grave que votre mignon "putain", qu'on trouve vraiment pas méchant ( voir drôle) comparé au cinglant et cassant "tabarnak", souverain incontesté des sacres. Ouch. Alors quand je lis "ça veut dire un truc du genre "zut" ou "flûte", iiiiish, alors là, mes amis européens, pas du tout! "Baptême", "schnoute", "mautadine", ou même les versions édulcorées de "tabarnak", à savoir "tabarnan" ou "tabarnouche" auraient été de circonstance. Mais LÀ, vous avez un énorme juron à la page 17 d'un livre jeunesse pour un lectorat de 8-9 ans. Si l'adulte que je suis trouve ça drôle ( c'est ça qui arrive quand un Français ne connait pas le québecois!), le libraire que je suis se pose des questions: "Est-ce que ça va passer au conseil, ici au Québec?" Après tout, AUCUN roman jeunesse québecois ne serait publié avec le sacre ultime qu'est "Tabarnak"( même avec un "c" en fin de mot) ou alors, il serait censuré avec des * . Ah, et OUI, sacrer à l'oral comme à l'écrit, c'est très très peu distingué et mal vu. On utilise les sacres pour marquer un excès de colère, de frustration ou de surprise, mais c'est perçu comme "mal élevé" comme langage, même par les québecois. Voilà, je crois avoir fait le tour. Je sais que pour vous, les français, les sacres québecois sont soit exotiques soit incompréhensibles ( ils sont fous ces québecois!), mais quand vous les utilisez en roman, je crois que vous devriez au moins en saisir la portée. Qu'en pensez-vous? Des commentaires? Des questions? Des crises d'angoisse? "Non, mais de quoi qu'y s'mêle c'te libraire?!"
Autre problème: "Ce soir j'ai juste envie de cogner des clous"(p,17) est un non-sens. "Cogner des clous" est une expression qui marque un état, celui de grande fatigue, visuellement représenté par un marteau qui cogne sur le clou, avec le même ballant que la tête qui tombe de fatigue vers l'avant quand on lutte contre le sommeil ( après une longue journée à la librairie, par exemple). Alors concrètement ça donne "Ce soir, j'ai juste envie d'être très fatiguée". On ne peut pas avoir "envie" de cogner des clous, ç'aurait plutôt du être: "Ce soir, j'ai juste envie de dormir, je cogne des clous".
Ensuite, la poutine ( p.28) est composée de frites, de fromage en grain de type gouda ( dit "scoui-scouic") et de sauce brune. Alors d'où sort l'idée que c'est de la sauce à la viande? C'est pas un spaghetti! Et ce n'est pas un plat canadien, mais bien "québecois" ( ils s'approprie éhontément nos éléments culturels parfois les anglais canadiens).
Puis, les "pancakes" sont faits par les anglais ( c'est-à-dire tout sauf le québec ou presque). Les québecois font des "crêpes", bien minces et bien larges, comme vous, les français. On a gardé un peu de votre culture, vous savez?
Par ailleurs, un "chum" (p.59) , c'est un concept typique du Québec, mais qui dans le roman s'applique mal. On dit "son chum" en parlant de son copain, "son mec" comme disent les parisiens. Entre amis gars très proches, on peut aussi dire "mon chum". Entre amies filles très proches, on dit "chum de filles" ou "ma chum". Mais entre un gars et une fille, si c'est un ami dans le strict sens platonique, comme ici dans le roman, il faut spécifier que c'est un chum "de gars", autrement on renvoie au "chum"-mon-amoureux, ce qui est inexact dans le contexte. J'ajoute que c'est plutôt les adultes et les jeunes adultes, limite vieux ados, qui emploient ces termes, très rarement les enfants de 10 ans. Ah, les joies du français!
Comparer un slam de concert à une danse autochtone sioux, c'est très très moyen. C'est anodin pour les européens, mais ça va mal passer en Amérique du Nord. Eux aussi aimeraient bien qu'on cesse les stéréotypes qui les concernent. Non seulement slam et danse ne se ressemblent pas, mais je vous signale qu'il n'y a pas de Sioux au Québec et très peu même au Canada. La Nation Sioux peuple le centre et le sud-est états-unien.
Ensuite, pouvez-vous m'expliquer en quoi notre "boue canadienne" est différente de la votre? Je n'ai pas comprit...surtout que la "bouette", vous savez, généralement, c'est dans la forêt ou dans les endroits terreux...donc très peu souvent en ville. Bref, expliquez-moi.
Ensuite, l'allusion aux trappeurs. Les trappeurs sont aux québecois ce que les chevaliers sont aux français: un peu - BEAUCOUP- datés. Je sais que les bons vieux stéréotypes du bucheron attardé et du trappeur en peaux de raton laveur semblent encore exister dans le pays des amateurs de baguettes de pain, mais on en a tous marre d'être associés à l'époque coloniale du 17e siècle. Y a pu de trappeurs aujourd'hui. Et même nos voitures sont chauffées, alors nous ramener le fait qu'on doit manger gras pour combattre les hivers, c'est juste une preuve de la désuétude des stéréotypes dont on est la cible. Je ne vous apprend pas que même les villages les plus nordiques, incluant les réserves autochtones, ont l'électricité depuis des décennies, n'est-ce pas? Ah, et le Far West et le massacre des cheyennes aussi est terminé, soit-dit en passant, alors pourquoi cette allusion ? ( p.118)
La recette de pancakes ( des "crêpes" vous dis-je!) - quoique ça me donne mal au coeur juste à la lire avec toutes ces composantes animales - aurait été plus drôle si ça ne revenait pas ENCORE à cette idée de trappeur et de colons qui abusent du gras. Y a même pas de mention à nos sublimes bleuets du Saguenay, franchement! Ils sont même sur le dessin!
Voilà pour mes observations sur les stéréotypes. Je mentionne au passage que je ne suis pas favorable aux stéréotypes quels qu'ils soient, cela inclut ceux sur nos cousins français dans les romans québecois. Mais de manière générale, on ne les prend pas pour des attardés du siècle dernier, plutôt comme des amateurs fanatiques de baguettes, de béret et de chandails blanc à rayures, au tempérament snob ( je sais, je sais, c'est surfait).
Dans une otique plus positive, je trouve cet univers de squelettes très amusant et je trouve que c'est un bonne idée de faire "pousser les bébés" sur les os des pères. Néanmoins, n'importe quel anthropologue ou médecin vous certifiera qu'on peut distinguer un squelette adulte selon son genre, c'est donc faux de dire qu'ils sont totalement identiques (p.51). Oui, je suis maniaque sur les détails, je m'assume.
Les dessins sont super sympa, vraiment, beau travail de la part de l'illustratrice. Idem pour la couverture.
Sinon, c'est un roman plutôt court, aéré, qui allie humour, aventure et un peu d'investigation rapidement résolue. Les noms associés aux os sont amusants également.
La fin pourrait ouvrir une suite, dans un village de sorcières. Mais si l'auteur s'empare du projet, j'espère qu'il fera ses devoirs cette fois pour madame Pantoute et voudra bien traiter le Québec comme une province du 21e siècle cette fois.
Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans.