Je veux vous emmener dans ce pays où, pendant longtemps un livre avait plus de valeur qu'un
lopin de terre, voire de terres immenses;
ce pays qui nous fixe à travers les brumes et les nuits, de lointains étranges;
là, où l'on sait que la première chose qui disparait quand les temps sont mauvais, c'est la
miséricorde des dieux;
un pays qui inventa un parlement, le premier,
un pays d'où l'on partait, bien longtemps avant des marins Génois ou Espagnols,
jusqu'à des mondes nouveaux,
un pays où un homme vendait trois nuits avec sa femme
à deux olibrius rafistolés de partout
comme de vieux rafiots au rebut, pour un pichet de gnôle,
une transaction qui faisait l'objet d'un contrat rédigé
sous les applaudissements de Dogberry et Mangeclous.*
Et pendant ce temps, au-dehors,
six vagabonds attendaient, dont un cadavre,
les restes de la multi-épousée,
à laquelle un ecclésiastique de haut rang,
accordait le divin pardon dans un geste
et un élan d'une évangélique bonté,
sous le regard d'un Christ désespéré de se voir représenté comme un monstre percé de trous,
victime de la justice des hommes,
lui qui croyait qu'elle était la même pour tous –
rêve de poète...
ignorant que seules les lois qui innocentent les maîtres du jeu valent quelque chose,
et que si l'injustice est terrible, la justice qu'ils rendent est pire encore.
Là-bas, dans les brouillards de ce pays,
ici, dans nos brumes,
les tables d'or du matin des temps se retrouveront dans l'herbe,
à la consommation des siècles,
et le rêve et la fable seront nos lois.
N'attendez plus, lisez, relisez ce livre, un des romans majeurs de nos vies,
La Cloche d'Islande de Halldor Laxness
*Dogberry le sergent de ville verbeux de Much Ado about Nothing (William Shakespeare)
Mangeclous l'inoubliable personnage de Albert Cohen
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© Mermed