1140 pages, qui ont partagé mon quotidien pendant trois semaines, je ne vais pas pouvoir m'en séparer sans un petit billet. Surtout que "De Ontdekking van de Hemel" c'est selon beaucoup, y compris probablement l'auteur lui-même, le meilleur livre néerlandais de tous les temps. Alors, son "magnum opus", selon sa propre désignation, vaut-il légitimement à Harry Mulisch (1927-2010) ce titre très pompeux, devant les Multatuli, Hella Hasse et autres Reve et Hermans ? (Comment !? Vous ne connaissez pas ces gens-là ?!)
Personnellement, je dois avouer qu'avant d'avoir lu l'ouvrage qui nous intéresse, je n'avais jamais été réellement emballé par un auteur batave ; j'écarte une paire de fameux philosophes, qui de toute façon écrivaient en latin. Je mettais "Les soirs" de Gerard Reve légèrement au-dessus du reste mais c'était loin d'être l'amour fou. Il faudrait notamment que je lise "Max Havelaar" aussi. Thématiques qui ne m'intéressent pas, style sans plus, froideur ambiante, les Bataves ne me parlent pas, malgré la moitié de mes racines.
"La découverte du ciel", parue en 1992, s'ouvre sur deux anges, que l'on retrouvera lors de quelques intermèdes, discutant d'une certaine mission relative au lien entre Dieu et l'humanité ; mission qui implique à leur insu les trois protagonistes du roman : l'astronome Max Delius et le linguiste Onno Quist, qui vont, en 1967, se prendre d'une amitié hors du commun, et la musicienne Ada Brons, qui va croiser leur chemin.
Ayant lu les 1140 pages sans ennui et toujours avec une certaine curiosité, je ne peux pas décemment dire que je n'ai pas aimé. Pourtant je ne me suis attaché à aucun des trois personnages de cette histoire, dont il est important de savoir qu'elle est partiellement autobiographique, Max Delius étant à peu de détails près Harry Mulisch (tous deux nés d'une mère juive et d'un père collaborateur pendant la Deuxième Guerre mondiale, tous deux sont obsédés par les femmes et se sont rendus à Cuba) et Onno Quist s'inspirant de Hein Donner, célèbre joueur d'échecs (je ne vous apprends rien), venant d'un milieu conservateur mais lui-même gauchiste, et ami intime de Mulisch. Heureusement ils sont assez drôles et on apprend plein de choses en les écoutant.
Tout n'est pas intéressant, surtout au début ; les expériences sexuelles de Max, par exemple, je m'en fous un peu, mais sur l'ensemble il y a énormément de sujets qui sont abordés (vaut mieux, avec 1140 p.) : politique, linguistique, cosmologie, religion, philosophie, amitié, paternité, avec toujours en filigrane deux des marottes de l'auteur, la Shoah et la figure, peut-être plus précisément du père, mais globalement du parent, des thèmes auxquels on pouvait s'attendre, vu l'histoire personnelle de l'auteur. Et pour moi, au-delà de tout ce dont il parle, ce livre est avant tout un livre sur la parenté. Il y a assez peu de personnages mais beaucoup de pères et de mères, et parmi la foule de personnages célèbres qui sont cités - écrivains, philosophes, musiciens, peintres, architectes, savants, hommes politiques -, Kafka revient souvent et sa "Lettre au père" a clairement marqué Mulisch ; enfin Dieu, niveau figure du père, Il se pose là.
La narration est fluide, le style n'est pas outrancier, il y a des rebondissements, à coups de dei ex machina(-is), sachant qu'ici il est vraiment question d'interventions divines ; je trouve que ça se lit bien. Par contre il y a un côté "tout ça pour ça", qui me fait préférer les contenus plutôt que la progression et la finalité, mais c'est un voyage intéressant, au niveau géographique aussi, d'ailleurs : on visite notamment les Pays-Bas, Cuba, Venise, Florence, Rome, Jérusalem. Et passer d'une conversation pointue sur la radioastronomie à une théorie sur la chaleur corporelle qui se dégage des empreintes de fesses sur des sièges, ça a quelque chose d'exquis. Le portrait critique et sarcastique que Mulisch dresse de l'élite néerlandaise m'a également beaucoup parlé.
Pour répondre à ma question initiale, je pense que "La découverte du ciel" peut mériter son titre pompeux de meilleur livre néerlandais de tous les temps, car à défaut de l'avoir trouvé transcendant, c'est pour l'instant ce que j'ai lu de mieux dans cette littérature dont je ne suis décidément pas très friand.
Sinon le livre a été adapté au cinéma en 2001, avec Stephen Fry dans le rôle d'Onno Quist ; le choix de Stephen était d'ailleurs la condition sine qua non imposée par Mulisch, et je viens par ailleurs de constater la ressemblance physique frappante entre l'humoriste britannique et Hein Donner (le joueur d'échecs néerlandais qui a inspiré le personnage d'Onno, si vous avez bien suivi), voyez plutôt : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/8/80/Anefo_910-9355_Hoogovenschaaktoernooi.jpg/220px-Anefo_910-9355_Hoogovenschaaktoernooi.jpg
Je demande à voir ce que ça peut donner à l'écran.
Et aussi, il faudrait vraiment que je songe à lire la Bible, un jour.