Maurice Leblanc est plus connu comme le père littéraire d'Arsène Lupin que comme le créateur du policier Hercule Petitgris. Cela s'explique d'une part par la profusion des romans mettant en scène le premier, et par les tares physiques du second qui le rendent incontestablement moins séduisant.
Petit, chafouin et surtout doté d'une canine étonnante et spectaculaire qui, à la façon des castors, lui sort des lèvres dès que s'anime son esprit affûté, Hercule Petitgris est un enquêteur plus inquiétant que réconfortant. Issu de la classe modeste des fonctionnaires de police, il n'a ni panache ni charisme et pourtant, une fois de plus, l'adage qui invite à ne pas se fier aux apparences va se vérifier grâce à lui. Ce déstabilisant petit homme va assister un ministre, Jean Rouxval, dans l'élucidation d'un mystère touchant de près l'Etat et l'armée. Tout le principe de "La dent d'Hercule Petitgris" repose donc sur la réfutation des apparences, lesquelles sont nommées "émotions" par Joseph Rouletabille - autre fameux limier contemporain -, et "logique" par Hercule Petitgris lui-même.
Le ministre Rouxval pense avoir été le témoin d'une scène de chantage, exercé sur une veuve de guerre venue se recueillir sur la tombe du soldat inconnu, sous l'Arc de Triomphe. Sa position sociale, son sens de la justice et son statut de père de soldats tués au front lui font entreprendre immédiatement la résolution de l'affaire. Convoquant en son cabinet les intéressés, et après avoir mené son enquête grâce à ses propres réseaux, il leur fait part de ses conclusions, toutes parfaitement étayées, et prouvant que le soldat inconnu - qui fut anonymement désigné par le hasard dans une casemate à Verdun lors d'une cérémonie officielle, à la fin de la Première guerre mondiale - ne serait finalement pas si inconnu que ça...
Le récit m'a irrésistiblement replongée dans l'atmosphère du roman "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaitre. Même ambiance mystérieuse autour des morts du conflit mondial, même sentiment d'oppression et de douleur ; ce fut assez saisissant. J'ai également apprécié la plume de Maurice Leblanc et trouvé du génie dans sa façon de battre à nouveau les cartes au moment même où le mystère semble résolu, laissant le lecteur dans la même expectative que le ministre Rouxval. La confrontation psychologique de deux hommes aussi différents l'un de l'autre qu'un simple policier et qu'un ministre ne manque pas non plus de piquant, même s'il aurait fallu à mon sens quelques dizaines de pages supplémentaires pour davantage la développer.