« Un jour, après une course-poursuite mémorable, à bout de souffle, il m’a confié que je suis sa lune. Je lui ai rétorqué qu’il est mon soleil. Nous avons éclaté de rire. Un rire franc et massif, sous les yeux des passants ahuris. Était-il sérieux ou d’humeur taquine, je ne le saurais jamais. Par contre, je peux vous garantir que pas une fois je ne l’ai quitté d’une semelle car le soleil n’est rien sans la lune, et la lune rien sans le soleil. »
Celui qui écrit cela est un chat. Un chat qui parle de son maître, Sammy Kamau-Williams, « pianiste solo, auteur-compositeur, poète, éveilleur de conscience ». Le Djiboutien Abdourahman Waberi signe avec cette « Divine chanson » une biographie très romancée de Gil Scott-Heron (1949-2011), héros de la contre culture américaine, musicien de génie surnommé le Dylan noir et considéré par beaucoup comme l’un des pères du rap. Dans une note d’intention, l’auteur précise qu’il « n’était pas question d’écrire la biographie de Gil Scott-Henderson, l’intéressé s’en est chargé lui-même. » Beaucoup de libertés donc dans cet hommage empruntant « les chemins escarpés de la fiction ».
Paris, le chat confident, l’inséparable ami, relate quelques épisodes marquants de la vie de son « soleil » : ses concerts inoubliables, son enfance difficile dans les jupes de sa grand-mère au fin fond du Tennessee, son engagement politique, sa quête poétique, la fascination qu’il a exercé sur toute une génération d’artistes, mais aussi les démons qui n’ont eu de cesse de le harceler (drogue, alcool) et l’on conduit à plusieurs reprises derrière les barreaux.
L’écriture est magnifique, tout en lyrisme contenu. La voix du chat, aérienne et subtile, offre une distance où les souvenirs et la nostalgie ne souffrent d’aucune pesanteur. Au-delà du simple portrait, l’auteur propose une réflexion bien plus large sur le monde noir, liant musique et spiritualité, nous emmenant de l’Afrique au Brésil, d’Haïti au sud des États-Unis. Loin du classicisme formel que l’on trouve d’habitude dans ce genre d’exercice, Waberi donne à cette biographie très romancée un air de conte oriental au rythme jazzy imparable.