Aventures maritimes et science-fiction

Hydros est une planète-océan sur laquelle vivotent de minuscules communautés humaines, disséminées sur des îlots artificiels et sans contact possible avec les autres planètes. "La Face des Eaux" nous fait découvrir l'une de ces communautés, composée de soixante-dix-huit personnes habitant l'île de Sorve. Robert Silverberg a pris le parti de se focaliser sur le médecin de l'île ; même si la narration est à la troisième personne et non à la première, tout ou presque est vu à travers son regard. Si j'ai autant apprécié ce roman, c'est sans doute car je me suis trouvé des affinités avec le docteur Lawler (bien plus, par exemple, qu'avec Gundersen dans "Les profondeurs de la terre") : son côté casanier, son destin d'exilé involontaire, sa nostalgie envers une Terre qu'il n'a jamais connue... Autant de traits de caractère qui m'ont parlé et même touché. Le revers de la médaille est que les autres personnages restent forcément en retrait, même si tout au long des 500 pages que comporte le roman certains d'entre eux auront l'occasion de se mettre en valeur. Malheureusement, ce ne sera pas le cas des Gillies, l'espèce autochtone de l'île de Sorve. J'aurais aimé qu'ils soient davantage développés, qu'on en sache davantage sur leur culture, leur mode de vie. Il aurait pu être judicieux, au moins sur cet aspect, de délaisser un peu Lawler au profit de son amie Sundira qui, elle, se passionne pour la culture des Habitants... Mais ceux-ci ne serviront qu'à provoquer l'exil des humains de Sorve et à les jeter sur des mers aussi mystérieuses que dangereuses.


Voilà un roman qui, surtout dans sa partie centrale, devrait moins plaire aux lecteurs de SF purs et durs qu'aux amateurs de récits d'aventures maritimes. En plus des péripéties auxquelles on peut s'attendre (tempêtes et calmes plats, avaries, accidents bénins ou mortels), la promiscuité du navire sera propice aux rapprochements sexuels et à l'attisement des rivalités, aux débats philosophiques et aux questionnements métaphysiques... Et bien sûr, l'équipage de la "Reine d'Hydros" fera connaissance avec la faune locale : les poissons-pilon capables de transpercer une coque avec leur corne longue de cinq mètres, les poissons-taupe qui se déplacent en immenses nuées survolant les embarcations, ainsi que de nombreuses autres espèces inconnues... Mais le secret le mieux gardé d'Hydros est la Face des Eaux, qui prête son nom au roman. S'agit-il d'un continent légendaire, d'un lieu maudit, d'un authentique pays de cocagne ? C'est ce que les rescapés de l'expédition seront amenés à découvrir, aboutissant à une conclusion qui pourra laisser perplexes certains lecteurs... Mais cette fin, malgré son côté onirique et mystique (après tout, nous sommes chez Silverberg !) reste cohérente, elle est à la fois une vraie fin et une ouverture sur "autre chose", tout en bouclant la boucle par rapport à l'idée de communauté, d'appartenance ou non à un groupe, qui est au cœur du roman.


En débutant la lecture de "La Face des Eaux" sont remontés à la surface des souvenirs de "Un monde d'azur" de Jack Vance et "L'Écorcheur" de Neal Asher, deux romans se déroulant eux aussi sur une planète-océan et mêlant donc la SF et le récit d'aventures maritimes... Sauf que là où Vance et Asher m'avaient laissé sur ma faim, Silverberg a su une fois de plus me combler. Je ne me faisais pas trop de souci sur sa capacité à nous présenter un univers aussi fascinant que cohérent, en revanche je l'attendais au tournant sur l'intrigue en elle-même, car c'est sur ce point qu'il m'avait déçu dernièrement, notamment dans "Ciel brûlant de minuit" : un univers génial mais une histoire un peu fourre-tout et des péripéties sans grand intérêt... Ici l'écueil est évité, l'auteur n'a pas cherché à plaquer une intrigue de manière artificielle sur son récit. "La Face des Eaux" s'intéresse essentiellement à la planète Hydros et aux personnages, à leurs rapports mutuels et à leur environnement. Par conséquent, on ne peut pas dire que le rythme du récit soit effréné, et c'est tant mieux. Quoi de plus logique que de prendre son temps quand on suit la progression d'une coquille de noix sur l'immensité des océans ?

Oliboile
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le 29 mars 2019

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