Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
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le 1 oct. 2017
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L’idée de départ de la Grande Nouvelle est claire comme une source : l’homme descend de la grenouille. La suite est aussi limpide que l’eau d’une mare, car s’y mêlent « L’Éternel-Dieu », qui « s’est servi du calembour pour garder le chemin de l’arbre de vie qui empêche de mourir » (p. 33 de la réédition Prairial), l’Antéchrist, forcément, Saturne, qui est aussi Satan, et « le sexe », « cette cinquième roue ou membre de la gloire de l’Éternel qui paraît devant les quatre faces (Ézéch., i, 15) » (p. 62 – oui, moi aussi, je pense à un truc porno en relisant ce passage).
Ça donne encore des démonstrations comme celle-ci : « En allemand, l’Angleterre se dit : Engelland, pays des anges. Cette appellation confirme parfaitement que c’était des grenouilles » (dans un chapitre intitulé « Origine des Français et des Anglais », p. 90)… Disons que c’est le double inversé, sur le terrain de la logique, de ce qu’André Breton – sans l’Anthologie de l’humour noir duquel personne ne lirait Brisset – appelle à propos de Brisset « l’humour de réception » : on se retrouve avec un texte dont la cohérence interne est remarquable, mais qui présente avec le réel ce qu’on qualifiera pudiquement de frottements. D’autant que le milieu du livre est constitué de considérations ésotérico-prophético-apocalyptiques, parmi lesquelles un passage comme « L’homme est une goule insatiable. Il possède la terre, chacun la voudrait tout entière pour soi seul. Il convoite les cieux, et désespéré de ne pouvoir se les approprier, et les emporter avec lui dans sa tombe, il s’en va murmurant : Je reviendrai » (p. 70) est un des moins discutables et des plus clairs.
L’autre noyau de la Grande Nouvelle, c’est la phonétique. « La science s’impose » (p. 81), Jean-Pierre Brisset a donc découvert – et il est bien le seul – que « tout mot plus court que l’on peut apercevoir dans un autre mot plus long, est antérieur au mot dans lequel il se trouve incorporé et que l’on peut reconstituer dans la phrase qui l’a fait entrer dans le mot subséquent » (p. 32-33). Cet axiome se trouve dans un chapitre intitulé « C’est épouvantable ». Il conclut un ensemble d’explications où il est question de parasites qui font peur, d’esclaves et d’un couple qui vend ses meubles – si vous ne voyez pas le rapport, filez voir la solution en fin de critique.
Mais c’est sur le terrain poétique que la Grande Nouvelle s’illustre. Qu’il s’agisse là encore d’une poésie involontaire ne change rien. Pas mal de passages ont quelque chose d’involontairement expérimental. Pour goûter celui qui va suivre, on imaginera que l’auteur, présenté par quelques photographies d’époque comme un vieillard tout à fait digne, est attablé à une terrasse de bistrot, ou sur la scène d’un café-théâtre, et qu’il nous explique à voix haute comment les grenouilles ont acquis la station verticale. (On oubliera aussi, temporairement, que d’après les plus récentes recherches en zoologie, les grenouilles ne rampent pas.)
« Ce ne fut pas sans de nombreuses corrections, corps rections ou érections, que l’ancêtre se résolut à ne plus ramper. Corps érige-le, corrige-le. Je vais te corps ériger, te corriger. On corps érigé, corrigé. Les paysans qui disent corériger pour corriger parlent comme nos dieux. Ériger ou riger valait dresser. Air ist j’ai, ai rigé, j’ai droit. Ri j’ai, je suis droit. À celui qui disait cela et retombait malgré cela par terre, on criait : Ri j’ai, j’ai ri. C’est une des origines du verbe rire. C’est pourquoi une chute ridicule amène toujours un rire forcé. Pattes à terre as, patatras » (p. 29, chapitre « La formation du pied et le dressement du corps »).
En mythologie, les Genèses ont un Dieu. L’évangile dévoyé de la Grande Nouvelle ont un « auteur responsable : Brisset » (p. 103).
Solution du jeu : « Si un des époux vend la table, ce qui paraît être la résolution de ne plus désormais manger, n’est-ce pas épouvantable ? […] Les époux furent aussi esclaves et si le maître les époux vante, n’est-ce pas qu’il veut en effectuer la vente et ainsi, à juste titre, les épouvante ? […] Les poux font peur. » Logique, non ?
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Créée
le 8 août 2017
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