Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
4 j'aime
Incontournable Mois d'Avril 2021
Finaliste pour le National Book Award for Young People's Literature.
Roman de 2021 en version française, dont la jolie couverture est très révélatrice, Curtis nous invite à plonger dans l'histoire des États-Unis, dans un pan sombre qui concerne la ségrégation raciale américaine. Je vous préviens donc, tout comme l'auteur dans son avant-propos, que des termes tels que "Nègres" ou "Sauvages" apparaissent dans le récit, puisque c'était les termes à l'époque. Pour placer le roman dans son contexte, nous sommes en 1858, en Caroline du Sud, un état sudiste qui viens de perdre la guerre de sécession qui a divisé le pays en deux. Une Loi américaine permettait à des "chasseurs d'esclaves" d'aller "récupérer" les esclaves qui se sont enfuis dans les États du Nord.
Charlie Bobo a peut-être douze ans, il a la carrure et la taille d'un adulte. Fils de métayer, il est illettré et ne connait rien d'autre que le travail de la terre, tout comme son père, Grand Charlie. On ne le surnomme ( non sans une certaine ironie) "Little Charlie". Quand son père connait une mort aussi incroyable que stupide, un homme vient trouver Charlie et sa mère pour une reconnaissance de dettes. Charlie est contraint de devoir travailler pour cet homme, Captain Buck, un chasseur d'esclaves, qui doit aller récupérer une famille d'esclaves qui ont fuis les terres de Mr Tanner, il y a presque dix ans. Commence alors une longue route en compagnie d'un homme qui a perdu toute humanité et qui sent par ailleurs très mauvais. Mais les rencontres qu'il fait et les horreurs qu'il voit pourraient bien venir à bout de la mentalité sudiste qui gangrène son esprit.
C'est un pan d'histoire qui n'est pas simple à traiter, surtout ces temps-ci, avec la polémique sur les mots controversés. Néanmoins, je pense que le roman traite du sujet avec respect, sans tomber dans le sadisme inutile, avec une profondeur touchante et avec une réelle intention informatrice.
Nous suivons Charlie, qui n'a pas d'éducation scolaire et qui vit dans un coin de pays pour qui les gens de couleur sont considérés comme des possessions, voir des animaux. Il va être confronté à une réalité fort différente quand il traverse la frontière Canadienne, un pays qui condamne l'esclavagisme ( à ce moment-là). En raison de la Loi permettant aux chasseurs d'aller récupérer les "biens volés" ( les esclaves en eux-même), bon nombre vont donc fuir en sol Canadien via la frontière Ontarienne. Là-bas, les Noirs peuvent étudier, porter de vrais vêtements et sont libres. Une sacrée différence pour le jeune sudiste, qui en est même presque jaloux, lui qui a connu la pauvreté et qui n'a aucune scolarité.
Mais Charlie a bon fond et ce voyage sera l'occasion de revoir ses a priori. Nous suivons sa lente évolution et du fait même, nous voyons les différentes mentalités de l'époque selon les lieux.
C'est d'ailleurs très amusant pour la québecoise que je suis de voir comment les "Américains" semblaient se croire le centre du monde. Pour eux "l'Amérique", c'est eux ( visiblement, le Canada et les pays du Sud, nous ne sommes que "les autres pays"). Il y a d'ailleurs des différences assez notables entre les Canadiens-ontariens et les personnages États-uniens. N'oubliez pas que les sudistes avaient une mentalité très "cowboy" et raciste, alors que les Ontariens sont à l'origine des Loyaliste britanniques. Déjà, ça fait une bonne différence sur la manière de faire et de penser. je précise aussi que si l'esclavagisme canadien à bel et bien exister partout au pays, le Canada a plus rapidement aboli cette pratique. le Nord États-unien a suivit et bien plus tard, le sud du pays aussi. Toutefois, les tensions raciales existent toujours, des deux côtés de la frontière.
Il faut également que vous parle de la particularité linguistique du roman. Nous sommes en 1858, dans la tête d'un ado non-scolarisé du Sud État-Unien: c'est donc avec un français très familier et très tailladé que nous lisons, qui se veut le reflet d'un anglais américain sudiste. Des "ousque"( Où est-ce que), des "zactement" ( exactement), des "il a" qui deviennent des "l'a" et des tas de mots coupés vous attendent. Ça peut sembler impressionnant à priori, mais le cerveau s'habitue. Et d'un strict point de vue historique, c'est vraiment plus crédible. Seuls les Canadiens semblent parler "normalement", plus éduqués et avec un accent moins prononcé.
On vous parlera de traitements inhumains ( "passer un chat" en est un, le fouet en est un autre) et bon nombre de personnages déshumanisent et ont de terribles préjugés raciaux. Deux personnages seront fouettés ( un coup ou deux) avant leur capture. La réalité est dépeinte crument. Néanmoins, aucunes scènes d'une violence particulièrement insoutenable n'occupent le récit. Il ne faut pas oublier que le roman est conçu pour un lectorat adolescent ( 13 ans et plus). La plus grande violence est à mon sens verbale et sociale , pour ce roman.
Au final, je pense que ce roman est bien monté, très pertinent, car il faut instruire la jeunesse aux erreurs commises dans le passé et pouvoir constater le chemin parcouru pour mieux le poursuivre. Charlie est un personnage attachant, qui doute tout du long et qui aura le courage d'aller au-delà de ce qu'on lui a inculquer comme considérations humaines. Un roman historique qui m'en aura apprit et que je recommande.
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Créée
le 13 avr. 2021
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