Un chef-d'oeuvre de roman d'apprentissage
C'est en préparant mon mémoire que mon très cher directeur de recherche, M. L*******, tout en validant mon projet, m'a conseillé la lecture de La Mouche, un roman picaresque (m'a-t-il dit) du XVIIIe, malheureusement oublié et non réédité actuellement (hors l'édition hors de prix des classiques Garnier, que je me suis procurée), que je pourrais intégrer à mon mémoire si le coeur m'en disait.
Outre le fait que je ne vois pas tellement comment je pourrais de manière vraiment pertinente l'intégrer à mon projet, malgré certains éléments effectivement intéressants pour le libertinage, j'ai lu ce joli pavé de 600 pages, et j'ai beaucoup aimé.
Je n'ai absolument pas le temps de faire une critique construite, sachant que je pars en vacances dans approximativement quinze minutes, mais quitte à reprendre et développer plus tard (ou pas, me connaissant), j'évoquerai simplement quelques points :
-Mouhy, auteur totalement méconnu, réussit l'exploit d'écrire un roman à l'histoire totalement invraisemblable, qui fourmille de mises en abyme perpétuelles (surtout dans la première partie), de personnages, de situations rocambolesques, de coïncdences incroyables, de gains et de pertes d'argent, d'extraordinaire et de fantastique (ça cause d'achimie et de plomb changé en or...), d'inceste (oui oui)... Bref de plein de choses hétéroclites... Mais un roman qui se tient, qui forme une unité, et qui ne perd que très rarement son lecteur. D'habitude, en outre, les mises en abyme à répétition, c'est franchement pénible... Mais ici, c'est très plaisant et très bien fait. Elles ont un intérêt pour le récit principal, elles sont courtes et détaillées à la fois, et surtout elles illustrent le fait que...
-Bigand, le héros, est surnommé "la Mouche" (bien que ce soit évoqué une fois ou deux seulement) : le roman met en abyme, carrément, sa propension à l'espionnage, sa curiosité insatiable et souvent gratuite, en multipliant les histoires des personnages qu'observe Bigand. Et ça c'est très chouette. Là, on tient un projet cohérent, quand l'histoire littéraire n'a voulu voir dans ce roman qu'un étalage d'aventures sans queue ni tête, prétextes au divertissement du bas peuple (je caricature) - à tort, donc.
-Ce roman est très moral, avec un joli happy end, mais ça passe plutôt bien, et c'est discret.
-Ce roman cause libertinage, à gogo, et est en même temps extrêmement misogyne (on aime les femmes mais le tempérament et l'inconstance féminine, ça y va gaiement).
-Ce roman est très intéressant en ce qui concerne l'appât du gain, l'intérêt, la conception pragmatique de la vie qui repose sur le bien-être matériel, etc.
-Ce roman est un roman d'apprentissage, apprentissage qui s'étale sur toute la vie de Bigand.
Sous des airs de décence, il y a beaucoup de nuances à faire. Bigand surprend par sa chance et son intelligence, il a tout du parfait héros. Le picaresque est évidemment présent dans la multiplication des "aventures", comme le signale le sous-titre du roman.
Et surtout... l'oeuvre est extrêmement prenante. Ce n'est pas simplement un roman qui adopte une tactique à des fins commerciales ; ce n'est pas si superficiel, il y a vraiment de la substance, et en même temps, on se prend au jeu et on a énormément de plaisir à la lecture des aventures de ce Bigand qui, sans être un homme exemplaire, est d'une lucidité et d'une habileté admirables. Finalement, c'est peut-être le mari idéal... On apprend alors ce qu'est un homme : il n'est pas tout blanc, tout noir, chaque individu est mouvant, a ses bons et mauvais côtés... Le tout est de le reconnaître et d'apprendre de ses erreurs. L'homme est perfectible. Bref, un roman d'apprentissage dans la plus pure tradition, qui mérite beaucoup d'intérêt, et qui est écrit de manière fluide et agréable. (Sans que le style soit transcendant non plus.) Je recommande vivement.