Une première moitié intéressante, et puis...

On ne présente plus Odile Weulersse, auteur de nombreux classiques du roman historique pour enfants. "La poussière et la pourpre" est en fait la réédition en poche de "Théodora, courtisane et impératrice", lequel constitue, à ma connaissance, son unique incursion du côté de la littérature adulte. Il faut dire que le personnage sulfureux de la comédienne devenue première dame de Byzance se prête assez peu à la littérature jeunesse !


La première moitié de ce roman est plutôt prenante, intéressante et agréable à lire. Pantomime se donnant en spectacle dans l'hippodrome de Constantinople, la jeune Théodora refuse de se contenter de cette existence modeste, voire infamante, et est prête à tout pour gravir les échelons de la société. Pour sortir de sa condition, elle cherche non seulement à séduire les riches dignitaires, mais apprend aussi à lire et s'initie aux usages de la haute société... avec tous les obstacles que cela implique, car les aristocrates sont peu disposés à offrir une place à une "catin" de son espèce... En postface, l'auteure a pris soin d'expliquer sa démarche : la période précédant la rencontre de Théodora avec le futur empereur Justinien (la première moitié du roman, donc) étant peu documentée, elle a dû inventer, autrement dit effectuer un véritable travail de romancier ; à l'inverse, une fois son héroïne investie du pouvoir, l'auteure devient de toute évidence prisonnière des événements historiques, et le roman se limite dès lors à une suite d'épisodes platement narrés, sans véritable continuité. Le récit initiatique classique, mais tout à fait honnête, devient alors un exposé lassant, que ne vient malheureusement pas rehausser un style qu'un lecteur plus indulgent qualifierait sans doute de "fluide", mais qui pour moi est juste insipide. J'admets avoir abandonné Théodora avant d'arriver au point final.


Si la médiocrité de l'ensemble ne m'est réellement apparue qu'au bout d'environ 300 pages (auparavant on s'acheminait vers une "lecture trois étoiles" : pas indispensable, pas inoubliable, mais plutôt sympathique), certains détails auraient pourtant dû me mettre la puce à l'oreille. Passons sur mon habituel cheval de bataille, les notes de bas de page, qui ont la décence d'être peu nombreuses : une dizaine réparties dans tout le roman. Bien plus problématique est la présence d'anachronismes, approximations et autres erreurs fâcheuses :
*Les unités de poids ou de distance modernes dans les romans historiques sont définitivement une mauvaise idée : des mètres et des kilomètres dans l'empire byzantin, c'est le genre de "détail" qui ruine l'immersion.
*Les origines du jeu d'échecs demeurent floues, mais on peut affirmer sans prendre de trop gros risques qu'on n'y jouait pas à Constantinople au début du sixième siècle.
*Les références à la Russie et à la Hongrie, près de cinq siècles avant Saint Vladimir et Saint Étienne, et à la Sibérie, plus de dix siècles avant Ermak, m'ont fait frémir ; idem pour la mention des Varègues qui n'apparaîtront sur la scène de l'Histoire qu'aux alentours de l'an mil.
*Des "ambassadeurs Arvars" ? Non, seul le peuple des Avars a existé.
*On a un effet presque comique avec ces "hérétiques aryens", confusion entre le concept de "race aryenne" et le christianisme arien.
N'étant pas un spécialiste de l'histoire byzantine, d'autres erreurs de ce type m'auront sans doute échappé...


Contrairement à ce que peut laisser croire la quatrième de couverture, qui met en avant l'eunuque Narsès, "La poussière et la pourpre" ne s'intéresse qu'à Théodora, les autres personnages n'étant que des silhouettes à peine esquissées, gravitant autour de l'unique objet du roman... ou de la biographie ? Car on a là un parfait exemple de biographie romancée, un genre bâtard qui, de mon point de vue, n'a ni les qualités du roman historique traditionnel, ni celles de la véritable biographie. Le pire étant qu'au final, je n'ai pas le sentiment d'en savoir davantage sur Théodora que si je m'étais contenté de parcourir sa page Wikipédia. Pour mieux comprendre pourquoi ce personnage est passé à la postérité — en plus d'avoir été l'héroïne de plusieurs films et pièces de théâtre, il s'agit tout de même du leader des Byzantins dans le jeu "Civilization", excusez du peu ! — il me faudra sans doute aller vers les travaux de Pierre Maraval sur l'empereur Justinien...

Oliboile
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le 2 sept. 2017

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