Publié sur L'Homme Qui Lit :


La Grande Histoire de la seconde guerre mondiale aura sûrement laissé dans l’ombre de la barbarie humaine un tas de petites histoires, de drames marginaux, probablement même de drames individuels. Dans ces petites histoires, qui ne parviennent jamais à aller plus loin qu’un livre épisodique, un article de presse ou un documentaire de temps en temps, et qui ne marquent pas les esprits qui ne peuvent assurément pas tout retenir de cet héritage dont on se passerait volontiers, se cache celle des orphelins du Reich. Ces enfants nés, puis parfois tués avec la même compassion que les adultes, de la folie des hommes du régime nazi.


Ce sont dans des Lebensborn, sortes de maternités de l’association contrôlée par la SS et fondée par Himmler lui-même en 1935, que ces enfants sont nés. L’objectif était alors d’assurer une lignée aryenne pure, une race supérieure qui aurait dirigé et prospéré au sein de ce Reich millénaire. Derrière la vitrine d’un organisme chargé de pousser les couples à procréer, se tenait en réalité une impitoyable organisation nazie, qui en plus de faire procréer les femmes, volait des enfants dans des territoires pour les rapatrier sur ces orphelinats où ils étaient triés : ceux pouvant être germanisés étaient mis à l’adoption, les autres servaient de cobaye aux médecins ou de main d’œuvre s’ils n’étaient pas directement abattus.


Les femmes de ces centres, les « fontaines de vie », servaient bassement de génitrices qu’elles soient d’accord où non, et étaient mélangées à des soldats SS lors de soirées afin que l’accouplement (peut-on employer un mots moins scientifique pour décrire la rencontre ?) se produise. Dans ces centres, l’accouchement était souvent anonyme, et le peu d’archives qui furent tenues furent de toute façon brûlées par les SS lorsqu’ils abandonnèrent les enfants à leur sort à l’approche des alliés.


Oscar Lalo donne ici voix à Hildegar Müller, personnage figuratif de ces enfants dont personne n’a voulu à la libération, et qui cherche, avec l’aide d’un script, à raconter son histoire, à mettre des mots sur sa vie, son absence d’identité, de filiation. Car c’est l’un des drames de ces enfants qui n’ont rien demandé à personne : héritage encombrant d’un passé qu’on a rapidement voulu rayer, ils sont les seuls à n’avoir jamais obtenu le statut de victime dans cette guerre. Un roman très vite lu, chaque page ne contenant que quelques lignes, qui au total représente l’équivalent d’une longue nouvelle mais qui est superbement mise en mots par l’auteur, que j’ai découvert par la même occasion. A lire, assurément !


La race des orphelins, d’Oscar Lalo, a paru le 20 août 2020 aux éditons Belfond.

Créée

le 4 oct. 2020

Critique lue 138 fois

2 j'aime

Brice B

Écrit par

Critique lue 138 fois

2

D'autres avis sur La Race des orphelins

La Race des orphelins
choun
7

Un coup de maître (mais)

Un sujet d'une grande force -et peu abordé : la fabrique des enfants aryens "parfaits" du 3è Reich et ce qu'il en advient après 45. Une écriture d'une grande force : certains passages sont...

le 23 mars 2021

1 j'aime

La Race des orphelins
Cortex69
8

Au nom de la race

Allez savoir pourquoi, il y a des points de l'Histoire qui sont connus de tous et d'autres qui restent plus confidentiels. Dans La Race des orphelins, son second roman, Oscar Lalo a tenu à mettre en...

le 11 avr. 2021

Du même critique

Le Secret de Brokeback Mountain
Lubrice
9

Critique de Le Secret de Brokeback Mountain par Brice B

Ah, qu'il m'en aura fait verser des larmes, ce film. Il en a fait également couler, de l'encre, lors de sa sortie. Film gay ? Pas vraiment. Le secret de Brokeback Mountain fait parti de ces films qui...

le 7 janv. 2011

47 j'aime

3

Le Livre des Baltimore
Lubrice
10

Critique de Le Livre des Baltimore par Brice B

Publié sur L'homme qui lit : L’ébulition de la rentrée littéraire retombe à peine sur les très ennuyeux prix littéraires, que la sphère culturelle s’agite de nouveau, et qu’un seul nom revient sur...

le 3 oct. 2015

30 j'aime

1

Le vent se lève
Lubrice
8

Critique de Le vent se lève par Brice B

Le film commence par une séquence forte. On assiste, impassibles, à la mort d'un jeune homme de 17 ans, mort sous coups des soldats de la couronne pour avoir refusé de décliner son identité en...

le 7 janv. 2011

25 j'aime