La République, les religions et l'espérance par Galaad-

Sarkozy, chanoine du Latran

« Aux religions le spirituel, à la République le temporel »

La droite n'a jamais été véritablement attachée à la laïcité, néanmoins il existe des hommes politiques républicains de droite qui partagent plus ou moins certains des combats de gauche, et n'ont certainement pas à être amalgamés à d'autres personnalités de l'U.M.P. farouchement antilaïques. Néanmoins, qui est l'une des figures de proue de ce combat contre toutes les traditions françaises républicaines et laïques? Le titre vous en donne la réponse: oui, il s'agit bien de l'actuel président de la France, le bienheureux Nicolas Sarkozy, chanoine d'honneur de Saint-Jean-de-Latran. La liste interminable de ses atteintes à la laïcité et au modèle républicain n'a pas à être entièrement déroulée, mais un petit récapitulatif de ses entorses est nécessaire afin d'informer de l'hypocrisie de ce président qui a récemment déclaré que « le modèle multiculturaliste est un échec ».

Nicolas Sarkozy, avant même d'être président, était ministre en charge des cultes. Durant son mandat, il eut le temps de commettre un ouvrage écrit à l'aide d'un crucifix trempé dans de l'encre, avec le papolatre Philippe Verdin, prêtre dominicain. Véritable ode aux religions, cet ouvrage est l'un des plus infâmes gribouillis qu'il m'ait été donné de lire. Tout le monde maintenant connaît ses positions sur l'infériorité morale de l'instituteur par rapport au prêtre et son plaidoyer pour une laïcité positive depuis son discours à Latran. Moins de gens savent que ces idées ne lui sont pas tombées du ciel ce mémorable jour: elles participent à une idéologie qu'il a constamment mise en avant depuis ce livre, où l'on retrouve exactement les mêmes expressions, mais 3 ans auparavant!

Critique du livre « La République, les religions et l'espérance »

« Je crois au besoin de religieux pour la majorité des femmes et des hommes de notre siècle »

Ce torchon qui résulte d'un entretien avec un prêtre dominicain résume en clair la pensée de Sarkozy concernant les relations entre le politique et le cultuel, le temporel et le spirituel et la place de la religion dans la société. L'on peut déconstruire son discours en (au moins) 5 postulats qu'il étaye au fil du livre, en revenant sur un puis en continuant un autre, etc...

Postulat 1: La spiritualité et l'espérance sont réservées à la religion.
Dans l'idéologie de Sarkozy, le monde matériel se distingue du monde spirituel, et la spiritualité est l'apanage des religions. Pour lui en effet, si la République doit s'occuper du temporel, c'est aux religions de s'occuper du spirituel. Mieux: elles sont complémentaires, car les religions «tentent de donner un sens à la République » (p:21). Dans sa conception du monde donc, l'athéisme semble faire pâle mesure face à la richesse des religions. Ce qui l'amène à dire qu'il y a non seulement de l'arrogance à affirmer la non-existence du divin, mais que cela serait en plus sinistre! (p:143-144)

Pourquoi sinistre? Tout simplement parce que dans l'esprit du président, l'absence d'espérance serait la conséquence de l'incroyance, car en effet l'espérance se résume strictement à la religion. Faisant fi du stoïcisme qui prêche l'absence d'espérance, Sarkozy affirme benoitement que « le besoin d'espérer est consubstantiel à l'existence humaine » (p:13), et qu'en conséquence, « ce qui rend la liberté religieuse si importante est qu'il s'agit en réalité de la liberté d'espérer » (p:13). Il reformulera cela plusieurs fois durant tout l'entretien tout en gardant le même syllogisme absurde: l'espérance est nécessaire à l'homme, l'espérance découle de la croyance religieuse, donc la religion est nécessaire à l'homme. Il dira d'ailleurs que de toute façon l'incroyant n'est pas indifférent à la question de Dieu car il affirme sa non-existence.

Enfin, tout cela lui permettra de clamer que la morale, finalement, c'est aussi du domaine du religieux uniquement (ou du moins de façon prééminente), et que d'ailleurs il vaut mieux éduquer religieusement quelqu'un qu'autrement: « On ne peut pas éduquer les jeunes en s'appuyant exclusivement sur des valeurs temporelles, matérielles voire même républicaines. L'éducation religieuse est un enjeu important car c'est l'une des seules activités proposées aux jeunes qui ne soit pas tournée uniquement ou principalement vers la satisfaction de leur personne (...) La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu'elle procède d'une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu'elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain » (p:198-199). Les républicains seront contents d'apprendre cela.

Postulat 2: La religion comme service public
Dans la droite lignée du néolibéralisme, dont se revendique ardemment Sarkozy (devant Bush il proclamera son amour du modèle américain et sa volonté d'avoir le même en France), ce dernier n'a cessé de mettre à mal les services publics, éléments fondateurs du pacte républicain. Alors que la sécurité sociale et l'école publique n'ont jamais été en aussi mauvais état depuis que la droite est au pouvoir, et surtout depuis l'avènement de Nicolas Sarkozy, il va renouer avec la bonne vieille antienne marxiste de la religion comme opium du peuple et comme âme d'un monde sans âme. Evidemment, cette seconde partie a probablement amené l'ex-ministre de l'intérieur au postulat 1, mais il va aussi en profiter pour remettre une louche de bondieuserie dans les banlieues, « désert spirituel » selon ses dires (p:155).

En effet, n'ayant plus les moyens de donner de l'espérance sociale, un meilleur avenir et la justice sociale que requièrent les jeunes de banlieue, il va se mettre à plaider pour l'injection de plus de religieux dans ces dernières. La conception du jeune de banlieue qu'il a est celle-ci: un demeuré qui ne peut être calmé qu'avec du sport ou de la religion. "L'intégrisme règne dans les déserts spirituels (...) on y [la banlieue] installe des terrains de sports, c'est très bien. Mais est-ce suffisant pour satisfaire les aspirations des jeunes? Je ne le pense pas, car ces dernières ne relèvent pas que du domaine temporel". Car oui, en bon néolibéral qu'il est, la privatisation reste l'horizon vers lequel il faut tendre, et n'ayant pas les moyens de se payer des services sociaux locaux décents, ainsi qu'une police locale à même à faire face aux débordements, Sarkozy préfère instrumentaliser les imams afin d'y mettre de l'ordre. Il l'a fait en 2005 en appelant aux imams à calmer les révoltés, et il félicite dans son livre le rôle de maintien de l'ordre du cléricalisme musulman : « (...)il n'y a pas eu de révolte et la criminalité a baissé sensiblement [depuis que je suis arrivé au poste de ministre de l'Intérieur]. Cette amélioration est due naturellement au travail de la police et de la gendarmerie en matière de sécurité. Mais celui-ci a été rendu possible, acceptable, et n'a pas été vécu comme humiliant et injuste, grâce à ce que nous faisions parallèlement, notamment avec le C.F.C.M. Quand les communautés qui ont le sentiment d'être injustement traitées sont invitées à s'exprimer dans un cadre précis, organisé, légitimé, elles s'apaisent parce qu'elles ont un champ d'expression qui n'est pas illégitime » (p:141).

Mais avec Sarko, pas de discriminations entre les religions! Il complimentera aussi le rôle de l'Eglise catholique en Corse : « Les religions peuvent jouer un rôle [sur les questions de paix sociale ou civile] (...) Je sais le rôle d'apaisement qu'il [Mgr Lacrampe] a joué sur l'île à des moments particulièrement difficiles » (p:53). Enfin, pour Sarkozy, la religion serait un « élément structurant de la société » (p:148), d'ailleurs, il est convaincu que « l'esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté »(p:20).

Postulat 3 : Oui pour la laïcité, mais « positive »!
Vous pensiez que sa technique de communication sur la laïcité positive datait de 2007? Vous aviez tord! Ce terme de rhétorique qui vise à faire passer la laïcité actuelle pour négative nous vient d'abord de l'ami Ratzinger, à l'époque où il était encore membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et qui plaidait pour une laïcité positive, c'est-à-dire acceptant l'immixtion de la religion dans la sphère publique. Sarkozy le reprendra plus tard dans son discours à Latran, mais il eut déjà avant la brillante idée d'en parler dans son missel: « Je crois donc en une laïcité positive » (p:16).

Mais qu'est-ce que la laïcité positive aux yeux du monarque républicain? C'est simple: c'est une laïcité qui autorise la construction de cultes, surtout en banlieues. Il faut en construire là-bas en effet afin de lutter contre l'intégrisme: « L'intégrisme règne dans les déserts spirituels. A l'inverse, il trouve des contradicteurs là où sont implantés fortement des ministres du culte dont le message est compatible avec nos valeurs républicaines (...) Je crois que c'est parce qu'il n'y a pas assez de lieux de culte musulmans publics qu'il y a une progression de l'intégrisme aujourd'hui »(p:156-157). Le ridicule n'étant pas encore létal, il osera même dire que le financement des associations cultuelles « n'a rien de révolutionnaire car c'est parfaitement compatible avec l'esprit de la loi de 1905 et la laïcité à la française »(p:153).

Tout ceci pour prêcher l'intégration dans les banlieues par l'islam: « Enfin, donner un statut aux imams pour mieux assurer la stabilité de leur situation juridique, économique, sociale ne pourrait que favoriser un discours d'apaisement. Comment aider à intégrer dans les banlieues si l'on est soi-même en situation précaire? » (p:151)

Postulat 4: La République doit dialoguer avec les religions
Le président a une autre ambition : la réconciliation de la République avec les religions. En effet, « La religion (...) fait souvent ménage avec la pondération » (p:45), donc « la laïcité ne peut lui être indifférente ». Fort de toute cette logique, le Bush français veut donc faire « évoluer » la laïcité qui conçoit l'Etat comme indifférent au fait religieux vers une laïcité qui en prend compte. Pourquoi? Les raisons sont multiples et plus ou moins explicites.

D'abord l'on peut légitimement soupçonner une tentative d'instrumentalisation du religieux par le politique. Sarkozy a en effet cette manie héritée de l'idéologie anglo-saxonne de juger la population comme divisée en identités communautaires qui formeraient la citoyenneté. Contrairement à l'idée républicaine que met en avant un Villepin, pourtant du même parti, pour qui la citoyenneté n'est pas identitaire mais justement dépourvue de l'identité de groupe afin de viser l'intérêt général, Sarkozy lui voit partout des « citoyens musulmans », des « citoyens juifs » et autres fariboles communautaristes. Et ça l'arrange, car en ethnicisant ou en confessionnalisant le débat, il peut en même temps faire oublier les enjeux socio-économiques et faire oublier la classe à laquelle appartiennent ces gens. Pourquoi aider les gens dans leurs problèmes quotidiens quand on peut donner tantôt un hochet religieux tantôt un hochet ethniciste comme les quotas ethniques?

Ensuite, et ceci est plus explicite, l'ami des riches pense que le dialogue et l'intégration à une structure officielle déradicalisera les radicaux (p:100). Objectif particulièrement naïf quand on sait que toutes ces tentatives ont toujours échoué: dans les années 90 en Algérie, par exemple, le F.I.S. ne s'est pas modéré parce qu'il avait été accepté dans le jeu démocratique, au contraire!

Enfin, toute ces sottises lui permettront de jouer son cantique en faveur des mouvements « modérés » des religions. Un cantique invitant au prosélytisme le plus forcené, car le manque de militantisme des modérés a selon lui « favorisé la visibilité et l'attrait des fondamentalistes, voire des intégristes »(p:99). Il faut donc qu'ils s'engagent « plus fortement, et maintenant, dans la promotion et la défense d'un islam d'ouverture »(p:100).

Postulat 5: Les musulmans doivent s'entendre entre eux coute que coute!
L'un des échanges les plus connus de Sarkozy fut celui qu'il eut avec le prédicateur islamiste Tariq Ramadan. Il arrivera à le mettre devant ses contradictions, avec son « moratoire sur la lapidation », ses préfaces douteuses de livres invitant à la maltraitance des épouses désobéissantes et les propos ignobles de son frère Hani, l'autre face de la même pièce (dixit Hani sur son frère). Personne ne tentera de mettre le chef d'Etat devant les siennes pourtant. Car en effet, il fut aussi le maitre d'oeuvre de l'institutionnalisation d'une des organisations les plus réactionnaires de l'islam, à savoir l'U.O.I.F. (union des organisations islamiques de France), dont la proximité avec les Frères Musulmans n'est plus à démontrer. Parmi ses références théologiques, on retrouve le grand-père de Ramadan, Hassan Al-Banna, fondateur de la confrérie en question, mais aussi l'actuel chef spirituel officieux de ces islamistes: Youssef Al-Qaradawi, dont les propos, modérés au demeurant, invitent à jeter les homosexuels du haut d'une falaise, à battre sa femme, et à ne pas dialoguer avec les juifs, avec qui toute discussion ne peut passer que par le « sabre et le fusil ». Rien d'étonnant donc que l'on retrouve parmi les prédicateurs régulièrement invités lors de son congrès annuel au Bourget, des gens comme Hassan Iquioussen, condamné pour antisémitisme, mais aussi... Hani et Tariq Ramadan!

Tout ceci n'empêchera pas l'olibrius de penser qu'il faut discuter avec cette organisation somme toute banale à ses yeux, et qu'il fallait bien l'inviter au C.F.C.M. puisqu'elle représente une bonne partie de la jeunesse des banlieues. Mieux: non seulement l'U.O.I.F. « répond aux aspirations de ceux de nos compatriotes qui souhaitent vivre leur religion avec une certaine rigueur » (p:102), mais en plus elle « mène, sur le terrain, un travail utile contre des adversaires autrement plus dangereux pour la République: les salafistes ». Comme en Grande-Bretagne où des gens comme Blair ou Livingstone ont acclamé les pires islamistes afin de lutter contre les plus extrémistes des extrémistes (les salafistes), Sarkozy espère pouvoir faire confiance à ces obscurantistes afin de lutter contre ceux qui sont encore plus radicaux. Un peu comme si l'on comptait sur Marine Le Pen pour combattre les néo-nazis. Après tout, Fouad Allaoui, qui en est membre, a dit que « le respect de la loi est en soi une obligation religieuse », un peu comme le président d'eau douce qui cléricalise le débat politique. Rien de surprenant à ce qu'ils s'entendent comme larrons en foire!

Ces évènements pousseront des personnalités musulmanes progressistes à se détacher du C.F.C.M., comme Bétoule Fekkar-Lambiotte. D'origine algérienne, elle a été témoin des crimes commis par le F.I.S. en Algérie. Mais en entrant dans le C.F.C.M., comme dans une sorte de cauchemar absurde, elle dut subir à nouveau l'infâme: des éloges au F.I.S., des discours panégyriques en faveur de Hassan Al-Banna et d'insupportables remarques visant à légitimer ces fascistes religieux, tel était son quotidien au sein du C.F.C.M., dont la composante radicale ne cachait pas ses affinités pour le groupuscule théocratique en question. Le cynique Sarkozy n'en aura malgré tout que faire, et comme un bulldozer, foncera dans le tas sans se préoccuper des remarques des progressistes: « la vraie victoire a été de convaincre chaque sensibilité qu'elle avait besoin des autres pour réussir » (p:75) .
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le 13 avr. 2011

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