La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Sylvette Baudrot de France, script-girl
La Script-Girl, c'est un peu le Robinson Crusoé des tournages de films. Souvent je me suis dit que dans le monde d'aujourd'hui, ça n'était pas évident de retrouver cette sensation d'isolement et ce combat pour la survie, mais je n'avais jamais pensé que je pourrais la trouver dans un endroit qui grouille de gens. Évidemment ! où pourriez-vous être plus seul que devant des dizaines de personnes qui font chacune leur travail tant bien que mal, dans leur coin, et qui n'ont que faire de votre propre travail ? (si vous êtes en train de relire ce paragraphe parce que vous êtes puni, je vous gracie, vous pouvez aller directement au paragraphe n°5)
Quand vous ne connaissez pas un sujet, vous concevez toujours une marge d'erreur dans votre perception. Mais je dois dire que celle-ci a pour moi été dépassée haut la main. Car contrairement à ces livres qui rassurent sur leur sujet, qui vous font tirer la gueule, le monde est pourri et tout est trop facile, La Script-Girl vous inquiète perpétuellement, comme un enfant assis sur un muret à plus de deux mètres du sol. Qui a donc inventé un métier pareil ?! Faut-il être fou ?! Ah, oui, c'est sûrement un p'tit gars ambitieux qui, ayant une équipe réduite et voulant tourner son film à la vie à la mort, s'est amusé à compiler plusieurs métiers ; il faisait confiance à sa petite amie dévouée, et il a eu raison. Il n'avait simplement pas prévu l'engouement, mais le mal était fait : puisque c'était possible, apparemment, d'accomplir toutes ces tâches à la fois, alors cela ne deviendrait qu'un seul métier. Bilan : la scripte doit (si vous avez une idée propre de ce qu'est le métier de scripte, allez au paragraphe n°3) minuter, préparer, noter la direction des regards des acteurs qui sortent, noter avec quelle main ils ouvrent les portes, noter l'ouverture de l'objectif, la hauteur de la caméra, les mouvements des personnages, les numéros des prises, les meilleures d'entre elles, selon le réalisateur, l'acteur, le chef opérateur, elle doit aussi prendre des photographies des lieux, et puis pourquoi pas mesurer la pellicule utilisée sur chaque prise, déterminer si les chutes sont réutilisables pour tourner une nouvelle fois la scène, envoyer les commandes au labo, et j'en passe, le but étant seulement de dresser ici une liste inquiétante.
Il faut dire que Sylvette Baudrot, c'est la scripte d'entre les scriptes, Superscripte, si j'ose dire. Au fil du récit, son personnage se façonne, et à la fin on a comme l'impression de la connaître : une brave femme, très intelligente et astucieuse, un peu trop sérieuse et complètement maniaque du travail bien accompli. Par exemple, à chaque fin de chapitre, au sein duquel elle a déjà bien sûr tout subdivisé très soigneusement, elle nous gratifie d'un résumé écrit en tout petit, vraiment juste pour que, pauvres braves étudiants que nous sommes, nous puissions sans encombre le photocopier. Ah, on lui confierait vraiment sa vie sans hésiter à cette femme-là.
Script-girl pour Tati, Resnais, Polanski, c'est à partir des films de ces derniers qu'elle nous fournit ses exemples, des feuilles de service qui feront jouir tous les maniaques du détail, ainsi que les fous de survie. Oui car ma métaphore de Robinson Crusoé (si vous avez oublié de quoi je parle, vous êtes puni, retournez au premier paragraphe) ne s'arrête pas à la solitude de la script-girl : la narration du livre (et c'est amusant de parler de narration, puisque c'est censé être un ouvrage théorique) est comme une narration de roman de survie. Robinson Crusoé raconte comment il fait sécher des raisins au soleil pour avoir des réserves de raisins secs pour l'hiver. Sylvette Baudrot raconte que dans son sac, elle met un petit tabouret qu'elle peut déplier à tout endroit, et tel et tel cahier, et surtout, des cahiers à spirales, parce que ce sont les moins bruyants et les plus pratiques (elle insiste) (moi il m'a toujours paru que c'était plus bruyant, mais face au sérieux de Sylvette Baudrot ainsi qu'à son expérience, je m'aligne, vraiment, et puis même sans faire le test).
Et qu'est-ce qui se passe, quand on lit un foisonnement de détails concernant les tournages de films ? Eh bien on est stimulé, plus que jamais. Enfin, tout dépend de ce(ux) qu'on place derrière ce "on" général très fourbe. J'ai déjà entendu dire que les tournages de cinéma étaient ennuyeux, moi ça me paraît inconcevable. Ah, c'est sûr, pour les acteurs ça doit pas être la joie tous les matins (c'est amusant de voir sur certains rapports que Harrisson Ford doit être là à 4h15 le lendemain, on a tendance à oublier que les stars ont aussi une vie de merde parfois), mais quand on est actif, parbleu, quelle jouissance ! Tout ça pour dire que si, comme moi, vous adorez les making-of de films, les Lost in la Mancha en tous genres, vous adorerez forcément ce petit ouvrage. Pour ma part, ça faisait longtemps que je n'avais pas eu envie de faire du cinéma, et cette lecture m'a vraiment fait un bien fou.
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