Novembre 1989. Le Mur de Berlin s'écroule. Le communisme agonise. Dans le monde capitaliste, beaucoup exultent : le modèle occidental va pouvoir s'imposer au monde entier sans le moindre frein, tout le monde sera enfin libre de connaître, d'apprécier et d'adhérer aux valeurs du "monde libre".
Guillebaud part du constat que la fête a peu duré. Beaucoup de cultures rejettent le modèle occidental. Pire, une inquiétude traverse l'Occident. On se réfugie dans le culte d'un passé plus ou moins imaginé.
Que s'est-il produit pour que l'on en arrive là ?
Guillebaud montre comment l'Occident a renié l'héritage des Lumières. Comment il lui a tourné le dos. On revendique toujours ces idéaux mais, dans la pratique, on les a trahis. A commencer par la faculté de porter sur soi-même un regard critique vraiment constructif.
Après cette introduction, le philosophe va montrer différents thèmes qui serviront d'exemples à sa démonstration. L'argent roi, l'individualisme absolu, l'affrontement stérile entre fanatiques religieux et fanatiques athées, l'humanitaire manipulé par des Etats sans scrupules, le repli sur soi ou les médias. Autant de domaines où l'Occident, à force de renoncements successifs, se retrouve dans une situation inquiétante et ne parvient plus à satisfaire sa propre population.
Guillebaud décrit un monde devenu le chantre de l'injustice, des politiciens qui ont abdiqué leurs pouvoirs, un Occident arrogant qui méprise les pauvres et rejette toute forme d'objection à son idéologie, des invasions de pays masquées en "manoeuvres humanitaires", des peuples auxquels on impose un modèle qui n'engendre que pauvreté et corruption des élites, d'autres peuples tellement enfermés sur eux-mêmes que la notion même de civisme est en voie de disparition, un relativisme qui nous dit que tout est égal et une télévision qui impose leurs choix aux dirigeants des Etats.
Bien entendu, précise l'auteur, rien de tout cela n'a été organisé, planifié. C'est une succession de faits qui ont changé le monde en un siècle. Dans chaque chapitre, Guillebaud fait une passionnante mise au point historique qui montre l'évolution de notre société sur tel ou tel thème (c'est souvent ce que j'ai préféré dans ce livre).
Le reproche principal que j'adresse à ce livre, c'est sa rapidité. Aborder tant de sujets en moins de 250 pages, c'est se condamner à survoler l'ensemble. 30 pages pour parler de l'importance exagérée des médias ? 30 pages pour parler de l'opposition entre l'universalisme et le repli sur soi ? C'est, évidemment, bien trop court. Evidemment, le lecteur est frustré par ces discussions à peine abordées et déjà achevées.
Mais cette briéveté n'empêche pas Guillebaud de montrer des aspects contradictoires. Il nous fait vivre de véritables débats, cite de nombreuses références, recopie de multiples citations à l'appui de son argumentation. Jamais il ne condamne unilatéralement. Sa réflexion est subtile et constrastée. Et le tout est porté par une écriture facile à lire.